La force du relâchement : Compte-rendu du stage national avec Franck Noël le 10 février 2019

Publié le 26 Février 2019

Source : P.Belvaud

Source : P.Belvaud

Alors que la saison entre bientôt dans sa phase finale, chaque weekend me permet d'expérimenter.  C'est l'occasion à la fois de sortir de sa zone de confort mais également d'aller chercher de nouvelles pistes où d’affûter les outils dont nous disposons déjà. 

Rencontrer enfin Franck Noël relevait pour moi un peu des deux exercices. Pratiquant un Aïkido relativement familier de mes professeurs sans être toutefois totalement semblable, possédant une très large expérience de la discipline, j'étais curieux d'en savoir plus sur un des plus discrets personnages du collège technique de la FFAAA.

Que dire sans fioriture du parcours de Franck pour ceux qui, comme moi, découvre à la fois concrètement son travail et qui souhaite en savoir plus ?

Franck Noël débute l'Aïkido en 1968 à Paris. Il pratique alors sous la direction de Nakazono senseï (à l'instar d'autres enseignants comme Christian Tissier et Paul Muller). En 1972, Franck Noël quitte la France deux ans et demi après Tissier shihan, pour s'installer au Japon pendant 8 ans où il y étudiera la musique et pratiquera principalement au Hombu Dojo de Tokyo jusqu'en 1980. Alors jeune trentenaire, Franck Nöel senseï devient professionnel et fonde 8 ans plus tard le dojo de la Roseraie à Toulouse où il demeure toujours présent et actif. Se rendant tous les ans au Japon, ayant pratiqué régulièrement à l'international avec de nombreux élèves directs du fondateur (dont Kisshomaru senseï, Asaï senseï et surtout Yamaguchi senseï), Franck est aujourd'hui 7ème dan shihan dans notre discipline.

Précisons cependant une chose. Ce qui fait le succès actuel de Franck Noël auprès des pratiquants (qui se déplacent à plusieurs centaines par stages) n'est pas forcément ce palmarès mais bien le fait qu'il pratique une sorte d'Aïkido "habité". On dit souvent de son waza qu'il est neutre, limpide, épuré, clair comme un miroir neuf. Certains utilisent le terme éthéré pour qualifier sa technique. Dans tous les cas, que chaque stage de Franck Noël déplace autant les foules m'intriguait, me fascinait et à fini par éveiller ma curiosité.

Bravant la pluie, le froid et une maison pleine à craquer de microbes, j'ai donc décidé d'en avoir le cœur net.

 

Source : P.Belvaud

Le contenu du stage :

"Je ne trouve pas que Franck Noël pratique un Aïkido éthéré" fut ma première remarque intérieure au contact direct du senseï venu rapidement corriger mes nombreuses erreurs de débutant. Le fil rouge du stage était, je le crois, de pratiquer avec le plus de relâchement possible tout en mobilisant naturellement les bras. Vous trouvez ça simple comme bonjour ?

Ça tombe bien, Franck aussi... En vérité tout ce qu'il proposait lors du stage était extrêmement simple en apparence. Des chutes arrières, couper avec la main, abaisser le bras de façon naturelle, communiquer avec le partenaire sans geste parasite etc...

Sauf que la simplicité de Franck Noel est d'une complexité diabolique.

Sans en avoir l'air, petit à petit, je me suis mis à transpirer à grosses gouttes. Nous passions régulièrement du tachi waza à une pratique à genoux, puis à une pratique en hanmi handachi waza, sans relâche. Le rythme incroyable de Franck Noël ressemble en réalité à une sorte de fleuve où, immobile en apparence, un baigneur imprudent se laisse rapidement emporter par le courant.

J'ai l'impression que notre senseï du jour souhaitait nous communiquer qu'une pratique souple, naturelle et assez directe permet à la fois une meilleure communication avec le partenaire tout en évitant l'inutile. Mention spéciale à certains exercices destinés uniquement à nous permettre de mobiliser les bras sous une forme plutôt "te katana" ou bien à relâcher l'ensemble de la partie supérieure du corps. Certaines formes proposées (comme des ikkyo omote assez directs devant suivre la trajectoire du bras lorsqu'il retombe de façon transverse) mobilisant particulièrement les épaules afin que la technique soit la plus relâchée et la plus fluide possible.

Source : Aikidoclub de Rouen

 

Le sacerdoce de la simplicité :

S'échapper de la forme classique du catalogue pour épurer encore le mouvement d'une technique n'est jamais chose aisée. Ceux de mes camarades (très nombreux sur le tapis) dont les formes sont les plus alambiquées étaient particulièrement dans la peine. De même pour les chutes où notre enseignant du jour réclamait systématiquement des chutes arrières, jouant avec les habitudes des plus voltigeurs et des plus dynamiques.

Pour ma part, cloué dans un rythme de travail assez lent mais dynamique, je suis demeuré comme un poisson dans l'eau. Toutefois la difficulté s'est présentée à moi lors des propositions les plus verticales où j'ai lutté longuement pour parvenir à relâcher le haut du corps lors des ryote dori sokumen irimi nage. Franck Noël est d'ailleurs passé me corriger directement afin de me préciser de faire "exactement l'inverse" de ce que j'étais en train de faire :-)

Sur ce dernier point, j'ai particulièrement apprécié la disponibilité de notre professeur.  Assez peu bavard, je l'ai trouvé plus concentré pour nous faire "passer" la technique directement, sans fioriture. Je suis persuadé que plusieurs dizaines d'élèves sont passés entre ses mains dans ce stage où nous étions plus d'une centaine à la louche.

Par contraste, j'ai souvent assisté à l'effet d'inverse dans d'autres lieux. Je remarque le plus souvent que "quelques élus" bénéficient d'un contact direct, soit seulement 1% ou 2% des stagiaires présents. A son paroxysme, j'ai même pu observer d'un œil moins favorable des stages où l'enseignant semble s'adresser uniquement à quelques uns qui attirent son attention au détriment des autres.

 Franck est aux antipodes de cette pratique. Aucun rang n'échappait au polissage de son regard. J'ai eu la nette impression qu'il cherchait à filtrer chacun de nos gestes. Découpant petit à petit nos mouvements pour en enlever l'excédent.

 

Conclusion :

J'ai compris l'immense densité de Franck Noël à la fin du stage. J'ai également compris pourquoi tous ces gens amassés comme des abeilles dans une ruche à tenons s'agglutinaient autour de lui, bravant tous les éléments pour saisir sa pensée et le frémissement de ses gestes.

La technique de Franck Noël ressemble à une ligne droite où, sous la configuration d'un effet d'optique, nous sommes rarement en capacité de saisir les virages. On a envie de suivre la route bien qu'on ne sache pas où elle va. On se sent pousser des ailes afin d'acquérir cette incroyable clarté. On souhaite devenir la limpidité, sans pouvoir autant pouvoir l'attraper complètement. On sent que la puissance se dégage de la simplicité sans pour autant comprendre comment retirer complètement nos habitudes et nos petits défauts.

Merci pour cette ode à la patience, au travail et à l'infini petitesse des détails que la majorité oublient sur les chemins. 

Rédigé par Aïki-Kohaï

Publié dans #Compte-rendu, #Pratique de l'Aïkido, #Stages

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article