Collectif Aïkido Avenir - Une réflexion inspirante sur l'Aïkido fédéral
Publié le 30 Avril 2024
Vous le savez bien, chers lecteurs, j'ai toujours été animé depuis la création du blog en 2014 (puis de la chaine Youtube, de la naissance du magazine Yashima et d'autres événements corollaires) par le fait d'être utile à notre discipline.
Lorsque je n'avais rien à dire, je préférais la pratique et ne pas vous abreuver de mon avis ou de quelques morceaux de bravoures ineptes qui fleurissent désormais partout sur les réseaux sociaux. Il est toutefois arrivé que j'outrepasse mon calendrier habituel désormais rythmé par les articles plus personnels que vous trouvez dans ces colonnes, mes réflexions de fond que vous trouvez chaque trimestre dans Self et Dragon et mes articles historiques dans Yashima.
Il y a peu de temps, alors que je travaillais sur de nouveaux projets, j'ai assisté à la naissance du Collectif Aïkido Avenir, un regroupement d'enseignants, de pratiquants et d'experts issus du monde fédéral de notre discipline. J'ai été à la fois surpris, intrigué et intéressé par l'ensemble des réflexions portées par ce collectif dans la mesure où les articles produits suscitaient un débat très intense chez l'ensemble des pratiquants jusqu'au plus haut niveau.
Avec mon excellent collègue Emmanuel Betranhandy, anciens chroniqueur de Yashima, rédacteur sur le blog Paresse Martiale et pratiquant d'Aïkido de longue date, j'ai proposé une prise de contact auprès du collectif afin de pouvoir mieux les connaitre et de comprendre leur démarche. Il ne s'agit pas ici de juger du bienfondé de chaque élément développé mais bien de débattre de l'avenir de l'Aïkido fédéral à une époque où il s'agit de se moderniser sans s'aliéner et de sauver l'Aïkido de France sans le dénaturer.
Je vous invite à découvrir avec moi quels sont les objectifs du Collectif Aïkido Avenir, ses réflexions sur nos fonctionnements actuels et leurs différents projets.
Bonne lecture !
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Aïki-Kohaï : Pouvez-vous présenter brièvement votre collectif pour les pratiquants d'Aïkido ?
Collectif A.A : La première chose que l’on peut dire, c’est que nous sommes toutes et tous de longue date très investis dans la pratique, et des acteurs à des degrés divers dans l’enseignement et la transmission.
L’idée de se rassembler est née entre nous dans des discussions lors de stages, particulièrement quand nous nous sommes aperçus que nous étions collectivement mécontents et inquiets de beaucoup d’orientations fédérales.
Nous avons fini par décider de fonder un groupe assez générationnel, la plupart d’entre nous ayant entre 40 et 50 ans (mais pas que ! Il y a quelques plus jeunes ou plus anciens), et entre 5e et 6e dan. Nous avons cherché à rassembler des acteurs au-delà des sensibilités de style, et sur tout l’hexagone, afin de pouvoir couvrir au mieux les différentes problématiques liées aux territoires.
Notre première action a été d’écrire ce que nous avons appelé un « manifeste », rassemblant nos griefs, que nous avons envoyé à tous les élus et cadres enseignants fédéraux. La réponse de la gouvernance est venue très vite, en forme de fin de non-recevoir, et nous avons alors décidé de formaliser le collectif Aïkido Avenir afin de peser dans le débat public, à défaut du débat interne.
Aïki-Kohaï : Qui sont les principaux membres fondateurs du Collectif Aïkido Avenir et comment d'autres professeurs se sont ils agrégés à celui-ci ?
Collectif A.A : Nous ne souhaitons pas mettre de figure particulièrement en avant. Certains ou certaines sont plus actifs bien sûr, parfois aussi selon les sujets abordés ou les plages de disponibilités personnelles.
Et effectivement, des nouveaux venus se sont montrés intéressés à apporter leur contribution suite à nos publications, ou par le bouche-à-oreille, et nous les intégrons au fur et à mesure. Il y a bien sûr des professeurs de longue date, mais aussi de simples pratiquants, ainsi que des élus.
Cela nous permet d’avoir plus de contributeurs autour des sujets abordés, et des perspectives plus larges et inclusives qui, nous l’espérons, donneront plus de fond et de pertinence à nos productions.
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Aïki-Kohaï / E.B : L'un des objectifs manifestes du Collectif est la préservation de ce qui vous semble l'essence de l'Aïkido ? Comment définissez vous cette essence ?
Collectif A.A : L’essence de l’Aïkido, au fond, c’est la pratique : c’est à dire une activité que l’on pratique régulièrement et qui apporte un équilibre, un bien-être immédiat, ici et maintenant qui va résonner avec une promesse de développement sur le temps long, loin des idées de grades ou de récompenses. Or il nous semble que beaucoup d’actions fédérales se placent en décalage avec cette vision de la pratique: des actions au coup par coup, sans cap, superficielles et avec une idée dégradée de ce qu’est la « technique ». Nous souhaitons lutter contre cette perte de repère.
L’aspect éthique nous paraît également très important : nous sommes toutes et tous présents sur le tatami aussi parce que les valeurs morales et humaines portées par la discipline nous importent. Or nous avons été nombreux dans le groupe à être témoins de dérives fédérales dans ce domaine, et ne souhaitons plus nous taire sur ce que nous constatons.
Sans doute avons nous aussi en commun dans le groupe une culture de la transmission de maître à élève, et cela influence notre façon d’être sur les tatamis et la façon de transmettre la discipline.
Aïki-kohaï / E. B : Le collectif Aïkido Avenir se constitue autour de la recherche d'une pratique de qualité. Qu'entendez-vous par là ?
Collectif A.A : Qualité veut dire exigence. Dans la façon d’être élève, dans la façon d’être enseignant, dans la façon d’aborder la discipline. Nous ne souhaitons pas qu’une culture de l’« à peu près » s’installe dans la fédération.
La valeur de l’effort nous semble centrale : l’aïkido est une discipline très physique, où quasi tout passe par le corps. Que l’on soit débutant ou pratiquant de longue date, ou bien le professeur du cours, l’effort reste un élément central. Ne nous endormons pas, de nombreux dojos dans le monde pratiquent sérieusement pour faire monter leur niveau.
La qualité vient aussi de la profondeur technique que l’on a emmagasinée : solidité de la gestuelle, profondeur de l’éventail permettant de faire varier sans cesse l’éclairage technico-pédagogique, ainsi qu’une capacité à évoluer vers l’économie. Cette profondeur apporte le plaisir renouvelé à chaque cours.
Elle justifie également les rôles que chacun prend au sein de notre monde aïkido FFAAA : si l’on veut une pratique de qualité, il est cohérent et nécessaire que les plus avancés soient ceux qui transmettent les principes techniques. Bien sûr, les qualités humaines et relationnelles des enseignants comptent, elles sont très importantes pour le tissu humain que nous créons entre pratiquants et qui forme la famille FFAAA, mais la qualité technique doit rester le cœur de notre transmission, car sans elle c’est l’art aïkido lui-même qui est menacé de ne plus être transmis et de disparaître. L’inverse n’est pas vrai : si l’on décide de donner cette transmission à telle ou tel enseignant simplement parce qu’étant super sympa et chaleureux, il ou elle fédère des groupes et ramène des adhérents – quand bien même cela serait vrai ! – la qualité et la profondeur technique de notre art martial ne seront plus assurés à terme, telle une flamme qui s’éteindrait peu à peu. C’est donc bien d’abord une pratique de qualité de l’aïkido, justifiant que ce soient les plus compétents techniquement et pédagogiquement qui enseignent (donc celles et ceux dont on peut estimer qu’ils ont une certaine profondeur de parcours en aïkido, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain), qui doit d’abord nous réunir et constituer notre socle commun.
Enfin, nous sommes dans une période sociétale où l’immédiateté domine fortement. Les questions de temps long sont souvent délaissées ; or l’aïkido, comme tout Dô, se situe précisément sur le temps long. Une pratique de qualité ne doit pas perdre de vue que le résultat, si l’on peut utiliser ce terme, a lieu à l’échelle d’une vie.
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Aïki-kohaï / E.B : Le manifeste "aïkido avenir" mentionne clairement le respect des racines de l'aïkido via ses "anciens". Mais quelle place dans cette action pour l'avenir (les débutants, entre autres), quand les années se succèdent et que les effectifs décroissent ?
Collectif A.A : Il y a effectivement une vraie problématique à la baisse de licenciés, et cela ne date pas d’aujourd’hui. Le Covid a pu l’exacerber, mais cela fait facilement un bonne dizaine d’années que ce déclin est amorcé. Toutes les disciplines martiales, japonaises ou non, ayant un aspect « traditionnel », proposant de suivre une « Voie », le constatent .
Il y a sans doute là divers aspects : des modes, des mouvements sociétaux pendulaires (ce qui avait de la valeur il y a 20 ans n’en a plus, mais en aura à nouveau dans un futur proche), un manque évident d’exposition médiatique, une période agitée qui peut favoriser le besoin de se sentir efficace rapidement...
Bref beaucoup de facteurs, mais nous ne pensons absolument pas que ce mouvement soit irréversible. L’aïkido porte des valeurs universelles, qui, bien communiquées, peuvent parfaitement faire écho à beaucoup de problématiques sociétales actuelles : vivre ensemble, tolérance vs culture du clash, retour au corps et à la présence face à l’abondance d’écrans, engagement et esprit de décision, etc. Au lieu d’attendre tranquillement que la société s’intéresse à nouveau à nous, nous pensons qu’une communication bien construite et tournée vers les publics désirés aurait un impact sur le recrutement.
Voilà pour l’extérieur. Quant à l’intérieur, nous pensons qu’une « pyramide » vivante ne néglige aucune partie d’elle-même : ni la base des débutants, ni le sommet avec ses experts (normalement au sommet de leur art), qui vont servir de modèle et de point de mire à tout le reste de la structure. Toute mise à l’écart d’une partie de l’édifice est mortifère à plus ou moins long terme.
Aïki-kohaï / E.B : Dans le même esprit, les participants (affichés) du Collectifs sont 5 ou 6e dan. Peut-on considérer cette action comme un passage de relais d'une génération de pratiquants à une autre ?
Collectif A.A : On peut en effet penser que notre collectif représente, par la composition de ses membres, le reflet d’une « génération » d’aïkidokas, pratiquants de longue date et ayant une certaine expérience de terrain dans l’enseignement et/ou des responsabilités organisationnelles. C’est en partie ce qui nous a rapprochés et permis de créer ce groupe, concernés par les mêmes problématiques liées à l’avenir de notre discipline et à son mode de gestion actuelle. Et c’est grâce à ce questionnement commun que nous échangeons, sur un pied d’égalité, pour construire notre réflexion.
Cependant, nos actions ne se résument pas à se faire l’écho de la génération nous précédant, dans ce que d’aucuns pourraient penser être dans une vision passéiste, mais bien de se faire entendre comme partie intégrante de l’écosystème dans lequel nous évoluons. Ceci avec nos propres idées et propositions de construction d’un avenir commun pour notre discipline.
De même, nous ne cherchons pas à nous positionner pour obtenir une place particulière dans le futur, mais à porter notre voix à un moment qui nous paraît critique.
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Aïki-kohaï / E.B : Le "manifeste" du collectif mentionne les liens (passés ?) de la FFAAA avec l'Aïkikaï de Tokyo généralement, et avec le Doshu Ueshiba en particulier. Comment considérez vous cette relation, et comment s'inscrit-elle pour vous dans l'avenir de l'aïkido en France ?
Collectif A.A : Vouloir se passer du lien avec le Japon et minimiser l’importance de nos racines historiques serait aussi aberrant que de nier les liens culturels qui existent entre nos deux pays. Rappelons que nos cadres techniques historiques ont forgé en majeure partie leur expertise au Japon, et ont tissé des relations pérennes et structurantes dont nous profitons encore aujourd’hui, avec la venue régulière d’experts japonais en France. De plus, le Hombu dojo reste une structure de référence au niveau mondial, pour la pratique et l’enseignement, et la famille Ueshiba est au cœur de ce système, en tant que gardienne de la voie de génération en génération. Comment pouvons-nous alors ne pas conserver cet ancrage, technique, moral et culturel sur le long terme ? Au contraire, nous avons le devoir de continuer à nourrir cette relation pour ouvrir et enrichir notre pratique, et éviter ainsi un possible enfermement-appauvrissement-éloignement des fondations de notre discipline.
Aïki-kohaï / E.B : Comme il est indiqué dans votre premier article, le contraste est fort entre les manifestations anniversaires de 2013 et de 2023. Pour vous, des manifestations d'ampleur doivent-elles s'organiser régulièrement, à la fois comme vecteur de communication interne fédéral et externe, afin de montrer (sinon de créer) une dynamique autour de la discipline ?
Collectif A.A : La réponse se trouve dans la question !
En effet, il faut toujours partir de la réalité, fut-elle difficile. Et la réalité est celle-ci : l’aikido attire de moins en moins de monde en France et dans les autres pays similaires. Il faut donc redresser la barre et faire feu de tout bois, avec une vision claire des forces et des faiblesses structurelles de notre dispositif fédéral, dans le respect des valeurs de la discipline. Le quarantième anniversaire de la FFAAA était une occasion unique pour marquer cet élan et réunir toutes nos forces vives, ce qui malheureusement n’a pas été fait, loin de là.
Rares sont les occasions où l’aïkido peut communiquer globalement et largement vers ses membres et/ou l’extérieur. Et quand elles se présentent, il faut savoir les exploiter au mieux. Dans le cas contraire, il faut les créer et, naturellement, de façon consistante et régulière, ces efforts paieront.
Aïki-kohaï / E.B : Dans votre manifeste, vous évoquez avec force que nos dirigeants peinent à trouver quelque chose à dire sur l'Aïkido lui-même dans les publications officielles. Entendez-vous par là que nous ne cherchons plus à réfléchir à la discipline au plus haut niveau ?
Collectif A.A : On peut dire qu’aujourd’hui la fédération peine à tenir un discours à propos de l’Aïkido tout court ! Ceci est, à notre sens, le résultat d’une double tendance :
- D’une part, la mise à l’écart des figures de proue de notre discipline, ceux-là même qui sont légitimes à apporter de la profondeur à la réflexion, a fait disparaître le discours de fond sur la pratique, la technique, les principes qui éclairent le fonctionnement de l’Aïkido.
- D’autre part, une stratégie d’uniformisation des profils et compétences des techniciens qui coexistent au sein de la fédération, du fait d’une certaine méconnaissance de la discipline et de ses acteurs, a pour conséquence de lisser le discours et les messages portés vers l’extérieur.
En effaçant au passage ce qui constitue le cœur de notre art : la pratique.
Aïki-kohaï / E.B : Comment sortir de l'entre-soi et de l'auto-congratulation pour que l'Aïkido puisse survivre pour les prochaines générations ?
Collectif A.A : En gardant à l’esprit que l’objet d’une fédération est de fédérer ses membres, d’œuvrer pour le collectif et de se positionner comme garant de notre maison commune. Ce qui implique de chercher à conserver le lien avec l’ensemble de ses licenciés, de mettre en lumière la diversité des groupes qui la composent, et de laisser à chacun la possibilité de s’exprimer sans entrave.
Si l’on veut que la fédération conserve son dynamisme, il ne faut pas mettre sous le tapis une partie de l’écosystème. Toutes les strates qui la composent doivent participer à son élan.
Au sein de notre collectif, nous ne sommes pas toujours d’accord, mais par la discussion et l’échange, dans un climat respectueux, nous arrivons à trouver ensemble des propositions qui nous sont communes.
Aïki-kohaï / E.B : Vous évoquez également la promotion d'actions et d'initiatives. Qu'envisagez vous dans l'avenir pour enrichir la réflexion du Collectif ?
Collectif A.A : Le collectif travaille en premier lieu à la production d’articles de fond sur un rythme régulier. Mais nous rédigeons aussi des publications en fonction des sujets d’actualité, sur lesquels nous souhaitons réagir en tant que «lanceurs d’alerte».
Nous réfléchissons dans un second temps à l’organisation d’actions communes, telles que des stages ou des événements qui rassembleraient les membres du collectif dans une même dynamique.