Apprendre à contrôler son corps : interview de Minoru Akuzawa de l’école Aunkaï bujutsu

Publié le 1 Mai 2020

Akuzawa sensei lors de la Nuit des arts martiaux traditionnels 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

Akuzawa sensei lors de la Nuit des arts martiaux traditionnels 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

Attention, cet article est paru tête de couverture dans Dragon Magazine en 2019. Il s'agit ici d'une version légèrement modifiée et complétée par des photos inédites. Bonne lecture.

 

On le qualifie régulièrement de « maître de la force interne » ou bien encore « d’expert aux poings explosifs». Minoru Akuzawa étonne autant qu’il fascine les pratiquants de toutes les écoles et de tous les horizons.

Avec curiosité, je suis est allé recevoir l’enseignement de ce maître remarquable dans le cadre de l’aïki-taïkaï 2018. Je n'ai jamais oublié cette rencontre et elle continue de m'influencer aujourd'hui. De cette découverte sur le tapis est né un échange très riche, traduit du Japonais par Léo Tamaki (que je remercie encore), où s’entremêle à la fois la genèse de l’école, les questions techniques et les conseils très concrets à destination des pratiquants.

 

Akuzawa sensei et son élève Watanabe Manabu lors du Taïkaï 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

 

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Bonjour senseï. Afin de débuter cet entretien, pouvez-nous revenir à vos débuts. Dans quel contexte avez-vous découvert les arts martiaux ?

M.Akuzawa : Bonjour Pierre. A cette époque j’avais 19 ans et je faisais de la gymnastique. Mon corps bougeait pas mal et je voulais être capable d’utiliser ça. Je cherchais aussi une philosophie derrière les mouvements du corps. J’ai donc découvert le monde martial par le biais des arts martiaux chinois (n.d.a : principalement le Tai Chi et le Hsing-Yi) mais c’était très différent du Wushu d’aujourd’hui. Je pensais qu’il y avait de la profondeur. Il s’agissait d’un entrainement pour apprendre à frapper, donner des coups de poings, des coups de pieds etc... J’ai ensuite fait un peu de compétition par le biais du Sanda (n.d.a : Akuzawa senseï a concouru dans la première coupe du monde de Sanda en Chine qu’il a remporté). Ce qui m’intéressait avant tout c’était de trouver quelqu’un de fort au-delà des styles, qui comprenait bien les principes.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Etiez-vous déjà inspiré par des maîtres en particulier où s’agissait-il d’une recherche uniquement corporelle ?

M.Akuzawa : Mon idée n’était pas d’entrer dans un dojo pour devenir fort. Comme Bruce Lee, j’avais cette volonté d’aller à la rencontre d’experts différents, de croiser les mains avec eux, de sentir leurs techniques et d’apprendre. J’ai pensé que les premières personnes que je rencontrerais lors de mes trois premières années d’étude, seraient sans doute les plus importantes pour moi.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Est-ce qu’à l’époque, vous étiez déjà intéressé par l’utilisation interne du corps ? Où est-ce venu plus tard au contact du close combat japonais (n.d.a : maître Akuzawa a étudié le Toshikakuto) ?

M.Akuzawa : Au départ, je n’avais aucune compréhension profonde. Mon corps n’était pas développé non plus en ce sens. C’est en rencontrant mon maître de bujutsu que je me suis rendu compte qu’il fallait malaxer le corps, le travailler intensément.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Est-ce que vous pensez que la compétition permet cela. Est-ce encore quelque chose d’important à vos yeux ?

M.Akuzawa : Quand on a 20 ans, je pense qu’il faut essayer beaucoup de chose. C’est une bonne expérience que de passer par la compétition.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Dans votre parcours, vous avez ensuite fait la rencontre de Sagawa Yukiyoshi senseï du daito-ryu aïki-jujtusu. Pouvez-vous nous décrire cette rencontre ?

M.Akuzawa : J’avais environ 25 ans. Derrière moi j’avais maintenant l’expérience de la compétition et je me demandais qu’elle était l’étape suivante pour devenir encore plus fort. A la même période, il y avait un article sur Sagawa senseï dans l’Asahi Shimbun et peu après le livre de Kimura Tatsuo senseï, Tomei na Chikara (n.d.a : publié initialement en 1995 et traduit en anglais par « Transparent Power » en 2009), a été publié. J’ai alors écrit une lettre à Sagawa senseï puis j’ai intégré son dojo.

 

Sagawa Yukiyoshi sensei (source : Budo No nayami)

 

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : A cette période, commençait se déroulait l’enseignement dans le dojo de Sagawa senseï ?

M.Akuzawa : Le maître avait déjà 93 ans. J’étais convaincu qu’il fallait le rencontrer tout de suite afin de voir comment, à un âge avancé, on pouvait se renforcer et pratiquer. Je n’avais aucune curiosité particulière par rapport au principe aïki ni envers l’aspect technique du daito-ryu aïkijujutsu.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : A quel moment l’idée de fonder l’école Aunkaï est arrivée ?

M.Akuzawa : A cette époque, je n’avais vraiment aucune idée ou envie de créer ma propre organisation. Environ trois ans après avoir quitté le daito-ryu aïki-jujutsu, j’avais presque 33 ans. L’idée d’étudier et transmettre afin de continuer ma progression a germé à ce moment.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Comment définir l’Aunkaï pour un débutant ? Quels sont ses principes principaux qu’on peut expliquer au grand public ?

M.Akuzawa : On me pose souvent cette question très difficile (rires). Même les japonais me demandent si ce que je fais, c’est de l’aïki, des arts martiaux, ou bien quelque chose de complètement différent. L’Aunkaï est un groupe où l’objectif est de développer un corps martial, d’apprendre à contrôler son corps.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Ce qui m’a frappé dans votre enseignement et votre contact, c’est que j’ai senti nettement l’accent sur une utilisation personnelle du corps. Est-ce une composante première de l’Aunkaï où cet enseignement est arrivé plus tard ?

M.Akuzawa : Dans la plupart des écoles d’arts martiaux, on débute par un échauffement classique et l’on passe immédiatement aux techniques à deux partenaires. Avant cela je pense qu’il est important d’avoir une certaine confiance en son propre corps. Pour cela, j’ai développé un grand nombre d’exercices. Beaucoup de ces exercices peuvent être réalisés chez soi. Dans le cadre de ma présentation de ce jour (n.d.a : à l’aïki-taïkaï), nous avons pu étudier plus longuement que d’habitude mais on peut donc tout à fait travailler seul. C’est un aspect fondamental de la pratique.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Senseï, quel est justement le but de ces exercices et des tanren (n.d.a : les exercices de renforcement du corps) de l’école ?

M.Akuzawa : L’enseignant est là pour montrer les choses. Le tanren a pour but d’amener chez le pratiquant une prise de conscience profonde de la façon de son corps fonctionne. C’est un autre élément primordial du développement lorsqu’on pratique.

 

Akuzawa sensei lors de la NAMT 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

 

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : J’ai remarqué effectivement que l’Aunkaï met l’accent sur les principes au détriment de la forme. C’est une différence notable par rapport aux gendaï budo. Est-ce que la forme piège le pratiquant ou bien rend sa pratique inefficace ?

M.Akuzawa : C’est une question compliquée (rires) mais je vais essayer de répondre. La forme n’est pas mauvaise en soi. Pour avoir une transmission, il est nécessaire d’avoir une forme. Cependant, il faut prendre conscience plus profondément de nos bras, de nos jambes, de notre dos, de notre squelette. Je souhaite une prise de conscience plus profonde, au-delà de la forme.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Certains des exercices de votre école me font penser à d’autres exercices évoqués dans l’ouvrage Tomei na Chikara de Kimura Tatsuo senseï, à propos du sumo. Il s’agissait là aussi de tanren aux fins de développement un corps aïki. Est-ce qu’il existe un lien entre votre méthode et l’enseignement reçu dans le dojo de Sagawa senseï ?

M.Akuzawa : Non, c’est complètement autre chose. Certains pratiquants mentionnent également le fait que le maho ressemble aux arts martiaux chinois. Ce sont toutefois des choses que j’ai développé moi-même avec des objectifs très différents. Le contenant peut ressembler mais la forme répond effectivement à d’autres impératifs.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Sur cette question de contenu et de contenant justement, est-ce que le développement interne est l’élément central de l’école où certains éléments de l’Aunkaï partent tout de même dans des directions plus techniques ?

M.Akuzawa : Je ne dis jamais « il ne faut pas comme ceci ou comme cela ». Je dis plutôt, si « vous faites comme ceci, votre position sera meilleure, vous pourrez mieux générer la force ». Je ne dis pas « ceci est dame » (n.d.a : だめ interdit, mauvais, inutile en japonais). Par mon expérience que je peux transmettre, j’essaie simplement de montrer comment mieux utiliser votre corps, rendre la technique plus fluide.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : L’Aunkaï conserve certaines facettes des bujutsu. Est-ce que l’aspect « traditionnel » des koryu est absent pour créer une méthode plus moderne ?

M.Akuzawa : C’est justement cette façon de voir les choses qui est au cœur de l’Aunkaï. J’ai principalement débarrassé l’école du kata, de la forme pour ne garder que les principes et la façon de penser.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Pour finir, quels sont les premiers conseils que vous donnez aux débutants ?

M.Akuzawa : Je conseille toujours aux gens d’approfondir la connaissance des principes. Il y a des écoles comme le kyokushinkaï où les capacités physiques rentrent énormément en jeu avec de nombreuses catégories de poids. Chez moi, il y a beaucoup de femmes qui viennent pratiquer et l’on utilise les techniques et les exercices pour apprendre à se connaître, pas pour séparer. Nous pratiquons tous ensemble. Mon objectif est d’ailleurs de réunir les gens qui s’intéressent à cette recherche. Bien sûr, quel que soit l’école, il y a toujours quelque chose de bien et qu’on peut apprendre mais quand on se positionne du point de vue du budo, on a laissé une trace pour que tout le monde puisse rentrer sur la voie. Le bujutsu est au-delà de ça. On s’intéresse avant tout aux fondements et aux principes. Pour moi c’est cette capacité à chercher l’évolution par soi-même.

Aïki-kohaï/Pierre Fissier : Merci beaucoup sensei :-)

Akuzawa sensei  lors de la NAMT 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

Akuzawa sensei lors de la NAMT 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

Akuzawa sensei  lors du Taïkaï 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

Akuzawa sensei lors du Taïkaï 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

Akuzawa sensei  lors de la NAMT 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

Akuzawa sensei lors de la NAMT 2018 (Photographie : Aïki-kohaï)

Rédigé par Aïki-Kohaï

Publié dans #Entretien, #Arts martiaux, #Aunkai

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article