Entretien avec Eléonore Lemaire : Quand l'échange commence par une rencontre !
Publié le 19 Juillet 2014
J’ai fait la connaissance d’Eléonore Lemaire (4ième dan) lors d’une rencontre organisée au Korindo où elle représentait avec Antony Gilles le Kodokan Dojo (Paris XVe) de Michel Lapierre. Je dois avouer que je fus favorablement impressionné par leur démonstration d’Aïkido mais plus occupé à….la cuisine. C’est donc tout naturellement que j’ai souhaité la recontacter plus tard afin de lui proposer une petite interview en attendant de nous revoir sur le tatami cet été.
Je vous invite à découvrir le résultat de cet échange avec une pratiquante de qualité (en plus d’être ultra sympa) qui mérite qu’on parle d’elle, de son dojo et de son parcours étonnant. En espérant qu’Eléonore organise pour l’avenir de nombreux stages et pas uniquement pour les enfants (bande de petits veinards).
PS : Et pour ceux qui souhaitent aller pratiquer au Kodokan Aikido de Paris XV (et découvrir notamment leurs nouveaux horaires), vous trouverez toutes les informations sur ce lien.
Aïki-kohaï : Eléonore, j'ai cru comprendre que tu pratiques l'Aïki depuis ta plus tendre enfance. C'est LA question classique de départ mais dans quelles circonstances es-tu arrivée à l'Aïkido ?
Eléonore Lemaire : En fait, j'ai commencé par le "baby judo", que j'ai pratiqué pendant quatre ans. Je m'amusais bien, surtout au travail au sol, mais je me suis vite trouvée confrontée à deux problèmes: je n'avais pas l'esprit de compétition, et j'étais frêle et me faisais vite blesser par plus costaud que moi. Le club de judo de Beaugrenelle était alors tenu par deux frères, l'un prof de judo et l'autre d'aïkido. Mon prof de judo a donc conseillé à mes parents de me faire essayer l'aïkido, malheureusement, il n'y avait pas de section enfants dans le club. Mes parents avaient eu la chance de suivre pendant un temps l'enseignement de Maître Noro, donc ils m'ont d'abord inscrite au dojo des Petits Hôtels. Mais face à l'enseignement un peu spécial (nous pratiquions déjà les armes, faisions l'exercice du "bras incassable" qui dégénérait assez vite, et faisions nos démonstrations sur parquet), ils ont cherché un nouveau dojo.
Aïki-kohaï : Comment se passaient les cours à cette époque ?
Eléonore Lemaire : A l'époque, au dojo de la Plaine, enseignait Philippe Gasque et son assistant Pascal s'occupait de la section enfant. Je me souviens de cours assez techniques, avec tout séquencé: d'abord la garde, puis garde-saisie, puis garde-saisie-pivot, puis garde-saisie-pivot-chutes, et je trouvais ça un peu trop calme. Quand Michel Lapierre (5° dan), qui allait devenir mon enseignant, a repris le club en 1996, le style était complètement différent: il parlait peu et nous faisait pratiquer comme des adultes. Du coup, même s'il fallait s'accrocher pour comprendre certaines techniques, j'étais déjà plus stimulée. Quand Michel a demandé à Sophie d'Auzac (4° dan) de s'occuper de la section ado (et enfant) où j'étais alors, encore un autre style, plus ludique, avec des jeux et des exercices nous permettant d'aborder l'aïkido différemment.
Un autre enseignant avait déjà marqué ma pratique: Arnaud Waltz, qui à l'époque animait les stages enfants/ados de la FFAAA, et qui maîtrisait l'art de nous amener, à travers des exercices spécifiques, à des techniques déjà assez évoluées.
Aïki-kohaï : Comment se passe l'évolution d'un pratiquant quand on débute si jeune ? Est ce qu'il y a des moments durant ton enfance ou ton adolescence où tu as souhaité arrêter l'Aïki ?
Eléonore Lemaire : J'ai un tempérament assez buté, et enfant, j'aimais déjà aller jusqu'au bout d'une discipline avant d'imaginer arrêter. Alors avec l'aïkido, impossible de voir le bout du chemin! Donc je suis restée, ce qui n'a pas été le cas de tous mes camarades. Les moments d'hésitation sont souvent apparus au moment des changements d'enseignants/de club, lorsque certains de camarades avec qui j'aimais pratiquer laissaient tomber, ou encore les années où il y avait moins de pratiquants.
Aïki-kohaï : Qu'est ce que tu trouvais le plus difficile ?
Eléonore Lemaire : Je ne me souviens pas d'avoir eu des difficultés techniques, mais j'avais des facilités en Suwari Waza, où je retrouvais les sensations que j'avais lors du travail au sol du judo (que j'ai continué à pratiquer en parallèle les deux premières années).
Aïki-kohaï : Juriste, Soprano, Danseuse, Pratiquante et enseignante d'Aïkido maintenant 4e dan. Ton parcours est vraiment intéressant et varié. Mais....comment fais tu pour trouver le temps de faire tout ça :-) ?
Eléonore Lemaire : Ouh lala, je n'en fais pas autant! (sourire inside) C'est vrai qu'à l'époque de mes études de droit je menais de front l'aïkido, la danse, le droit et les études de musique, mais c'est tout l'intérêt d'être jeune!!
Maintenant, mon métier principal est chanteuse lyrique, et ma "bulle d'air" l'enseignement de l'aïkido lors des cours enfants/ados/adultes du samedi au Kodokan Paris 15 - Aikido. Concrètement, j'essaie de négocier avec mes employeurs mes samedis après midi, et si ce n'est pas négociable (ou que je joue à l'étranger), nous avons la chance d'avoir un vivier de gradés enthousiastes et talentueux qui se font un plaisir de me remplacer, ce qui permet aussi aux enfants et ados de sortir de leur routine!
Un Aïkido à découvrir (source : E.Lemaire/Kodokan Paris XV Aikido)
Aïki-kohaï : Quel(s) senseï(s) guide encore ta pratique aujourd'hui ? Est ce qu'il y en a un avec qui tu rêves de travailler ?
Eléonore Lemaire : Je suis toujours l'enseignement de Michel Lapierre au sein du club, et aussi celui d'Arnaud Waltz, que j'essaie de suivre dès que je peux. Depuis une dizaine d'années Michel me conseille d'aller suivre l'enseignement d'autres enseignants, et nous en invitons régulièrement au Kodokan Paris 15 - AïkiDo dans le cadre de stages ou d'interclubs (une de nos spécialités, car comme le dit notre slogan "l'échange commence par une rencontre"!). J'ai donc suivi les enseignements de Christian Tissier, Bernard Palmier, Josette Nickels, Marc Bachraty, Pascal Norbelly, Philippe Gouttard, Philippe Grangé, Claudie Bellus et une grande partie des cadres techniques de la FFAAA. Avec mon métier, je suis souvent amener à voyager, et j'en profite pour pratiquer. Cette année par exemple, j'ai pu pratiquer deux mois à Amsterdam. En tant qu'enseignante, je côtoie les autres enseignants des sections enfants (comme Khalid Tragha, Marcel Galais ou Dominique Mazereaud), et j'ai la chance d'observer leurs pratiques et leurs approches pédagogiques, qui m'enrichissent beaucoup.
J'aime beaucoup la pratique de Yamashima Sensei, mais si j'ai pu l'observer en stage, je ne suis jamais encore monté sur un tapis pendant ses cours.. Quant aux autres, nous avons un tel terreau de talents en France qu'il serait vain d'essayer de citer ceux avec qui je n'ai pas encore eu le plaisir de pratiquer!
J'apprends aussi beaucoup au contact des pratiquants de notre club, qu'ils soient kohaïs ou gradés: nous évoluons tous différemment tout en essayant d'aller dans la même direction, donc quand l'un d'entre nous progresse, cela nous profite.
Aïki-kohaï : J'ai cru comprendre que tu avais (comme P.Monfouga Senseï) pu travailler avec l’étonnante Claudie Bellus et Bernard Palmier ? Une anecdote à nous raconter lors de ton parcours auprès d'eux ?
Eléonore Lemaire : Claudie Bellus est l'enseignante incontournable quand on planche sur les bancs de la fac à Paris! Comme Sophie d'Auzac avant moi (c'est d'ailleurs elle qui m'en avait parlé au départ), j'ai pu suivre son enseignement de manière intensive durant les quatre années de droit, et je continue régulièrement à pratiquer chez elle. D'ailleurs, depuis que je l'ai présenté à Michel Lapierre, les transfuges entre les deux clubs sont monnaie courante! Claudie est une touche à tout (aïkido, judo, technique Alexander..), et pendant ses fameux stages à Houlgate (ah, la pratique du boken sur le sable!) elle invite également des senseïs de style très différents afin que les étudiants aient un avant-goût des différentes pratiques de l'aïkido. Pas vraiment d'anecdote donc, mais surtout des souvenirs, comme ses planches anatomiques nous permettant de visualiser son "polygone de sustentation"! Et un cours de chutes plaquées de judoka pour appréhender koshinage!
Quant à Bernard Palmier, je l'ai rencontré plus tard, d'abord dans des stages, puis à l'école des cadres où Michel m'avait envoyée lorsque j'ai pris le relais de Sophie pour les cours du samedi. Puis j'ai continué à suivre son enseignement, toujours avec ses stages, mais aussi à son dojo d'été. Là encore, pas vraiment d'anecdotes croustillantes, mais son travail sur Henka Waza m'a marquée, et un souvenir aussi : il avait invité Arnaud Waltz à son dojo pour un interclub. Nous étions donc assez nombreux sur le tapis, et à un moment où j'attendais mon tour, j'ai pu les observer en simultané. Deux cercles s'étaient formés autour d'eux; à ma gauche Arnaud, à ma droite Bernard. Tachi Waza, ryote dori, Kokyu Ho. Incroyable comme une même technique pouvait prendre deux formes aussi différentes! D'un côté Bernard, tout en lignes et verticalité, de l'autre Arnaud, tout en puissance et en relaxation. C'est là que ma réflexion sur l'adéquation d'une forme de travail à celui ou celle qui la met en œuvre a vraiment pris son essor.
Aïki-kohaï : Qu'est-ce qui t'a donné envie de passer de la pratique à l'enseignement de l'Aïkido ?
Eléonore Lemaire : L'envie est d'abord venue d'une nécessité car Sophie d'Auzac déménageait et Michel Lapierre m'a demandé de la remplacer. J'ai été touchée et honorée (je me souviens encore de son coup de téléphone, j'étais au Conservatoire!), et c'était une façon de passer le flambeau en connaissance de cause, puisque j'avais moi-même été à leur place.
Aïki-kohaï : Concrètement, comment se passent tes cours avec un jeune public ? Sont-ils plus difficiles à gérer que les adultes ?
Eléonore Lemaire : C'est vrai que ce n'est pas du tout la même approche, et je dois régulièrement chercher conseil auprès de senseïs dont la pédagogie avec les enfants force mon respect (Arnaud Waltz, Josette Nickels, Dominique Mazereaud, et Khalid Tharga pour ne pas les nommer). De plus, avec Michel Lapierre, nous avons une réflexion en fin de saison pour voir ce qui fonctionne, et ce qui fonctionne moins. Depuis peu, devant l'essor qu'a pris notre section enfants/ados (une quarantaine), j'ai un assistant, volontaire parmi les super gradés dont j'ai parlé plus haut (ils se font un doodle tous les deux mois!), et cela m'aide beaucoup pour prendre du recul et avoir un retour sur mon enseignement.
Aïki-kohaï : Qu'est ce qui peut les intéresser (ou à l'inverse, est difficile de leur faire apprendre) ?
Eléonore Lemaire : D'abord, il faut différencier les enfants (6-9 ans) des ados (10-15 ans), car les problématiques ne sont pas tout fait les mêmes.
Pour les enfants, nous avons eu de grandes discussions avec Michel pour savoir s'il fallait leur apprendre l'aïkido pur, ou mettre en place une sorte de "baby aïkido", où ils joueraient et apprendraient à se déplacer et chuter. J'essaie de trouver un compromis pour les petits, avec une approche certes ludique mais concentrée (respect du lieu, attitude..), et un apprentissage de certaines techniques. Mais ce sont les principes qui vont m'intéresser (rapport uke/tori, déséquilibre, pivot, ukemi..), plus que la précision technique. D'ailleurs, quand je leur demande d'improviser, ils me sortent bien souvent des formes qui s'approchent de notre répertoire technique!
Pour les ados, je mise plutôt sur la tonicité. Nous avons la chance d'avoir beaucoup d'ados depuis deux/trois ans, et c'est très bien pour la motivation et l'émulation collective. Le revers de la médaille est que lorsque certains décident de n'en faire qu'à leur tête, ça prend comme un feu de paille!! J'essaie d'alterner les formes tout en me concentrant encore une fois sur les principes: le rapport uke/tori cher à Michel avec un bon engagement de uke (à mon sens le plus gros du travail), l'engagement physique, la création et l'entretien du déséquilibre. Mais là encore, la route est longue, et d'un cours à l'autre tout peut sembler à refaire tellement la concentration peut être différente.
Mais je trouve que l'ambiance est bonne, et le niveau assez bon, avec quelques très bons pratiquants que je ne désespère pas d'accrocher chez les adultes!
Aïki-kohaï : Que penses tu de la place des pratiquantes dans l'Aïkido actuel ? Une anecdote à nous raconter sur ce sujet ?
Eléonore Lemaire : Quelle question! Je ne me l'étais pas vraiment posée jusqu'à ce que j'enseigne. Et que je passe les grades dan! Des anecdotes, il y en a pas mal, et la majorité des pratiquantes doivent en avoir autant que moi! Comme un des jurys de mon 2° dan qui m'avait dit, après que j'aie passé des années avec Michel Lapierre à travailler la puissance et l'engagement des hanches dans le mouvement: "c'est bien, le travail du poids des hanches, mais vous êtes une femme, alors vous devriez plutôt axer votre pratique sur la rapidité!". Autant te dire que Michel a moyennement apprécié..
Il y a aussi certains profs qui, sous couvert d'un discours égalitaire, font tout le contraire. Certains déclarent "vous savez, il faut attaquer pareil que ce soit un homme ou une femme". Ben oui c’est sur mais c’est également vrai pour un petit et un grand, un jeune et un vieux… (en fait, je pense qu'il faut s'engager avec la même conviction, mais adapter sa puissance et sa vitesse au gabarit et au niveau de son uke, alors..) Il y a aussi le : "ok, mais dans la vraie vie, qu'est ce que ça donne?" ou encore certaines attitudes sur le tapis (ennui, condescendance, drague..). Mais bon, ce sont des comportements qui existent "dans la vraie vie", alors ce n'est pas étonnant qu'on les retrouve sur le tapis. C'est vrai que dans un monde idéal, ce ne devrait pas être le cas… Ce que je trouve plus dérangeant est surtout le manque de considération des fédérations pour leurs supers senseïs féminins. Combien de stage régionaux/nationaux animés par des femmes? Pourquoi si peu de 6°/7° dan?
Aïki-kohaï : Est ce que tu penses pratiquer différemment des hommes et/ou qu'il y a un Aïkido typiquement féminin ?
Eléonore Lemaire : La question sur l'aïkido féminin/masculin… Je n'ai pas vraiment été éduquée à cette enseigne, d'abord parce que j'étais une des seules filles pendant longtemps (je suis d'ailleurs ravie de l'arrivée de plusieurs d'entre elles au club depuis 2-3 ans!), et parce que mes (rares) exemples féminins étaient très puissantes (il faut voir le koshi nage de Sophie d'Auzac sur les gros gabarits!). Quand j'ai rencontré Josette Nickels, qui a mon gabarit, j'ai compris à quel point la précision technique (surtout dans la prise d'angle) était importante pour les poids légers, mais je n'ai pas vraiment pensé fille/garçon, plutôt petit/costaud. Je crois vraiment que notre pratique dépend principalement de notre caractère et de nos qualités physiques, plus que de notre sexe.
C'est sûr, nous avons généralement moins de muscles que nos partenaires masculins, mais pour celles qui souhaitent avoir un forme de travail tonique et puissante, il y a plein d'exercices parallèles qui peuvent leur permettre de faire jeu égal avec les hommes! Ce n'est pas la voie que j'ai choisie, mais quand j'étais plus jeune j'étais très punchy, et j'allais généralement au carton! Et puis, en m'entrainant chez Marc Bachraty pour préparer mon 3° dan, j'ai atteint mes limites physiques, et j'ai compris que je ne continuerai pas dans cette voie.
Et après le 3° dan, je suis tombée enceinte, du coup plus d'abdos! Et aussi plus le même centre d'équilibre ! J'ai alors commencé à privilégier les formes en absorption, à caler mon rythme sur ma respiration, et à préciser mes angles d'entrées. Mais c'est une voie que j'ai observé chez Philippe Grangé ou Arnaud Waltz, qui ont quand même des physiques différents du mien! Et qui sont…des hommes ! Peut-être que la notion féminin/masculin vient du fait que comme nous atteignons plus vite nos limites physiques, une grande partie d'entre nous privilégions une voie plus souple, mais je connais pas mal d'hommes pourtant assez costauds qui cherchent aussi dans cette direction, donc encore une fois, il s’agit plutôt une question de caractère.
Je pense à un certain Gilles d'une centaine de kilos, avec qui j'ai passé mon 4° dan, qui était d'une souplesse! Donc faux procès, et si nous pouvions juste pratiquer en nous adaptant à notre partenaire, nous aurions sans doute moins de préjugés, et une pratique plus riche!
Aïki-kohaï : Lors de ta démonstration au Korindo le 27 juin dernier, nous avons également pu écouter du chant (et de la musique) en même temps que la pratique du Kinomichi. Est ce que tu penses que l'expérience est transposable à l'Aïkido lors de démonstrations, de cours ou de stages ?
Eléonore Lemaire : C'est drôle, je me suis posée la question après cette expérience ! Et Sophie d'Auzac a animé pendant longtemps des stages d'été musique et aïkido pour les enfants. Je ne sais pas si l'expérience est transposable à l'aïkido, puisque nous travaillons souvent en rupture de rythme et le rythme est souvent guidé par l'attaque du uke, et non sur quelque chose que tori aurait déjà en tête. Mais certaines formes de travail, le "style aquatique" comme je l'appelle (Ju No Geiko) pourraient s'y prêter. Je réfléchis aussi à la libération du souffle et du son dans ma pratique, mais je ne suis pas encore assez sûre de moi pour me lancer. Accorde-moi encore dix ans? (sourire inside)
Aïki-kohaï : Est ce que ta sensibilisé musicale a un impact sur ta pratique de l'Aïki ? Est ce que l'Aïki a un impact sur ton travail de musicienne ?
Eléonore Lemaire : Pendant des années, j'ai cloisonné les différentes parties de ma vie, ce qui je crois est très humain. Puis on prof de chant (Malcolm King, aussi prof de technique Alexander) m'a demandé d'appliquer certains principes comme l'ancrage au sol à mon travail, ce que je me suis appliquée à faire. Et puis, alors que je préparais mon 3° dan, Michel est venu me voir pour la première fois sur scène, et il m'a dit "si tu avais la même attitude sur le tapis, tu ferais d'énormes progrès". Je me suis donc rendue compte, que l'aïkidokate que j'amenais sur scène n'était pas la même qu'au dojo. Du coup en pratiquant, je me suis efforcée au maximum d'imaginer que je pourrais chanter à tout instant, en gardant ma colonne d'air intacte.
Quand j'ai commencé à enseigner, Michel m'a conseillée de m'imposer techniquement (précision des placements, des prises d'angles..) puisqu'il était clair que je ne pouvais pas m'imposer physiquement, comme Sophie le faisait avant moi. Et puis au fil des ans, et surtout face à des adultes de plus en plus avancés techniquement, je me suis demandée ce que je pouvais leur apporter, et je me suis rendue compte que ce n'était pas tant la musicalité (c'est sûr qu'avoir le sens du rythme est pratique pour raccourcir ou agrandir les formes de travail!) que la maîtrise de mon souffle et des muscles inconscients qui en sont liés (jargon de chanteur, mais en gros tous les muscles qui s'activent sans que nous le voulions, comme la langue, les intercostaux, les muscles profonds..) qui pouvaient peut être apporter un plus. Je travaille pas mal depuis peu sur le fait de se caller sur la respiration de son partenaire afin d'entrer dans son mouvement, ou a l'inverse sur le fait d'imposer sa respiration (avec son irimi) afin de changer son rythme d'attaque. Mais je n'en suis qu'aux prémices.
Aïki-kohaï : Est-ce que tu t'intéresses au Kinomichi ? Est ce que tu pratiques d'autres arts martiaux et/ou est ce qu'il y en a qui peuvent t'intéresser aujourd'hui ?
Eléonore Lemaire : Mon père pratique le kinomichi depuis quelques années, donc forcément j'y suis attentive! Et Claudie Bellus l'a aussi pratiqué, ce qui se voit dans certaines formes qui explorent la longueur des membres en relâchant les articulations. J'ai un peu pratiqué au Korindo, quand j'étais enceinte et que mes muscles n'étaient plus trop là, et j'ai été très intéressée par le souffle qui traverse les mouvements et la liberté du corps. Mon ami est un judoka qui s'est mis au MMA récemment, et j'admire la martialité et la technicité du free fight, mais ce n'est pas pour moi!
En revanche, prendre le temps de plus pratiquer le kenjutsu, et peut-être un jour me mettre au kendo, qui me semble assez libérateur. Les arts internes (dont pour moi le kinomichi se rapproche) m'attirent aussi (je pratique un peu le qi gong pour le chant), mais j'ai encore besoin de me dépenser d'une manière plus tonique! J'y viendrais sûrement un jour.
Aiki-kohai : J'ai cru comprendre qu'il y avait une recette magique de caipirinha dans ta famille (à consommer avec modération et après la pratique bien sur :-) ? Est ce que ce secret se transmet de père en fille ?
Je réponds en off ;-)