L'Aïkido au féminin
Publié le 30 Mai 2014
Il y a beaucoup à dire sur l’Aïkido au féminin et sur les expertes de l’Aïkido. Cela dit, plutôt que de vous proposer l’interview de Jacqueline (que je salue néanmoins respectueusement), de parler de la qualité du hakama qui attire les filles ou encore le pontifiant « pas besoin de force donc c’est fait pour les femmes », j’ai choisis de m’attaquer à ce qui peut intéresser les kohaïs de ma génération : les compétences martiales plutôt que le genre.
En effet, avec tout le respect que je dois à nos prédécesseurs, les débutants constatent souvent un léger décalage générationnel sur la façon dont on va considérer le travail d’une pratiquante ou sur la façon dont on va la mettre en lumière. Il y a en effet beaucoup d’articles et d’interviews (même si la tendance s’inverse grâce à de nouvelles têtes mais aussi l’évolution des mentalités) où je suis encore souvent peiné de lire des propos dont la substance se résume à « vous êtes une femme, vous devez être contente que l’Aïkido soit adaptée à votre pratique, non ? ».
Balivernes !
Messieurs les pratiquants ! Il y a bien plus (comme Patrice, l’Aikidoblogtrotteur, le fait d’ailleurs bien remarquer dans son excellente interview d’Hélène Doué du 3 avril 2014) de pratiquantes féminines au Judo et de Karaté que de pratiquantes d’Aïkido. Ne pourrions-nous pas justement commenter les qualités de nos propres pratiquantes sans leur renvoyer le fait qu’elles sont d’un genre différent de la majorité des Aïkidokas ? Ne peut on simplement se satisfaire de leur pratique et de leurs compétences sans tenter d’y trouver une explication corollaire au fait qu’elles seraient des femmes dans un monde d’homme ? Ne peut-on simplement les admirer et les respecter pour leur travail et non leurs jolis yeux ? Pourquoi penser qu’une femme est attirée par la tenue plutôt que par la technique ou par le style chorégraphique plutôt que par l’efficacité ?
Encore une fois et sans faire une étude sociologique approfondie la dessus, je pense que tous ces vieux squelettes et poncifs finissent peu à peu par disparaître mais il est bon toutefois de rappeler que si nous voulons que les femmes s’emparent (et elles le font parfaitement bien seules) de l’Aïkido, alors il ne faut pas adapter l’Aïkido aux femmes. C’est plutôt les mentalités qu’il faut adapter.
Lorsque je suis arrivé sur le tatami en 2002 c’est une femme qui m’a impressionné le plus. Petite, féroce, japonaise, avec une technique et une précision redoutable (je pense qu’elle se reconnaîtra). Je n’ai jamais pensé qu’elle venait à l’Aïkido pour la qualité des fringues ou le coté non violent mais bien parce qu’elle aimait l’Aïkido pour ce qu’il est dans sa globalité.
Je vais peut être tordre le cou à certains et je suis désolé par avance de mon impertinence de Kohaï mais un mouvement techniquement juste et accompli par une femme se fera de la même manière qu’un homme, quoi qu’on en pense. Si la pratiquante est douée (comme Hélène), il sera bon, si la pratiquante est moins douée, il le sera moins.
On peut également parler de cette sempiternelle question de la force physique. On dit souvent qu’une femme en possèderait moins et qu’elle doit compenser. A mon sens, ce n’est pas tout à fait exact là encore. Certaines femmes possèdent plus de force physique pure que beaucoup d’hommes (là encore, voyons cela en Judo où la problématique est identique). Nous sommes tous amenés à compenser nos faiblesses par nos qualités quelque soit nos gabarits et en cela les femmes ne sont pas dans une situation différente malgré un rapport poids-puissance parfois en décalage (que certaines compensent par une préparation physique plus importante encore).
Il faut bien sur admettre que le gabarit moyen des hommes dans un rapport de force pure va souvent l'emporter mais là encore c'est aussi vrai pour un travail entre deux partenaires masculins sur le tatami. Là où on n'enseigne pas le travail sans force qui est censé aller de pair avec notre pratique, on va trouver des difficultés identiques peu importe le genre : la force prédominera et ce sera très mauvais (d'où l'importance de trouver des clubs d'Aïkido où l'accent est mis sur cette qualité essentielle du travail sans force comme le rappelle Léo Tamaki dans son article très intéressant du samedi 9 juin 2012 sur les femmes et l'Aïkido).
Le problème est également que les hommes sur un tatami souhaitent souvent et régulièrement pratiquer plus en force et jouer bêtement du muscle lorsqu’ils sont au coté d’une femme comme partenaire qu’ils soient uke ou tori. Ces pratiquants mériteraient de transpirer avec la dame de Kyoto (Yoko Okomoto senseï) pour avoir le grand plaisir de constater la vacuité d’un tel comportement.
Répétons le encore : une pratiquante à des qualités et des défauts tout comme un pratiquant. Le genre n’a rien à y voir. J’ai vu d’excellentes pratiquantes encaisser des atémis de Philippe Gouttard (Alma et Aurore, je vous salue respectueusement !) là où je me serais écroulé. Tout comme j’ai vu des pratiquants avoir un contact et une sensibilité tout aussi affutée que des pratiquantes (puisque ce sont les qualités qu’on leur reconnaît toujours par habitude et/ou ignorance).
J'ose cependant tout messieurs (quelle insolence) : il y a bien quelque chose que nous n'avons pas à armes égales et c'est à notre détriment ;
Je dois en effet reconnaître que l’Aïkido au féminin est, pour ce que j'en connais et pour ce que j'y expérimente au quotidien, toujours le fruit d’une grande précision, d’une rigueur quasi-mathématique et cette persévérance dans le but d’obtenir une constante technicité est louable et doit servir d’exemple là encore sans galvaniser le genre.
Cette précision trouve, à mon humble avis, son climax dans le buki waza (travail aux armes) et pour celui qui n'a pas vu travailler Fujitani senseï avec un bokuto ou Okamoto senseï avec un tanto, je vous invite vivement à observer cela car je ne saurais décrire mieux ce sentiment qu'à la lueur de leurs techniques incroyables.
Cette minutie se retrouve également dans les exercices de prise de contact ou dites de "mains collantes", dans la qualité des atémis, dans le placement de l'engagement des hanches et j'aimerais en tant que kohaï qu'on en parle d'avantage et qu'on le reconnaisse plus que de façon anecdotique.
Parce qu’on ne parle pas assez de Virginia Mayhew (fondatrice l’Aïkikaï de New York et de Hong Kong). Parce qu’on ne mentionne pas assez les fondatrices de l’Aïkido au féminin comme Patricia Hendricks ou Mary Heiny dont je vous invite à voir le travail de contact par vous même. Parce que j’aimerais aller à d’avantage de stages, de cours et lire d’avantages d’ouvrages sur l’Aïkido issus d’une vision féminine (vivement d’ailleurs qu’Hélène Doué le fasse). Parce que j'adorerais donner mon ukemi et recevoir l'enseignement de pratiquantes admirables et trop peu médiatisée comme Miyako Fujitani ou Marie Apostoloff.
Il y a beaucoup de Senseï au féminin qui mériteraient un éclairage totalement différent et dont je rêve d’étudier la pratique. Pour ne citer que quelques unes je citerais également les impressionnantes Chantal Danthine, Anita Kohler ou Lia Suzuki. La très précise Céline Froissart mais aussi Anne Demaret ou Véronique Sireix et la remarquable Magalie Chambenoit-Levy.
Merci aussi à ces pratiquantes "anonymes" que je croise et observe au quotidien dans les Dojos (je pense à Marion, Zoé, Béatrice, Fabienne etc...).
Qui sait enfin qu’une femme est aussi la conceptrice du Langage des sourds pour l’Aïkido ? Et pourtant tout le monde sait qui est le grand codificateur de telle ou telle pratique de buki-waza alors pourquoi ne pas le médiatiser encore d'avantage ? Qui sait l'apport vital de nos enseignantes d'Aïkido dans la pédagogie des cours pour les plus jeunes et qui le met en lumière ? Pourquoi ne pas laisser les pratiquantes s'emparer elles mêmes d'avantage de ces problématiques de communication ? J'adorerais enfin lire par exemple un Hors-série Aïkido consacré majoritairement aux pratiquantes et/ou contenant des articles techniques de ces senseïs femmes au niveau non moins excellent que celui des hommes afin de progresser dans mes recherches.
Pour conclure ce billet, je dirais que notre responsabilité de Kohaï (et notamment parce que nous sommes jeunes) est d’interpeller nos professeurs, nos clubs, nos fédérations et nos responsables sur ces questions et de présenter l’Aïkido féminin sous un éclairage complètement différent. Il n’y a pas plus de pratiquantes au Judo qu’en Aïkido par hasard et ce n’est pas qu’une question de publicité.
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