L'élitisme et la richesse en Aïkido : Réponse aux lecteurs

Publié le 20 Janvier 2019

dessin original : Will Poma

dessin original : Will Poma

En début de saison, j'ai récemment été interpellé par quelques lecteurs à propos du déclin de l'Aïkido et ses raisons. L'un d'entre eux ayant réagit publiquement à mon article sur le sujet, j'ai souhaité pour 2019 fournir une réponse plus argumentée qu'une simple réaction à son commentaire. Précisons que je suis heureux de l'ensemble de toutes vos réactions. La plupart de ceux qui me transmettent questions et commentaires le font dans un esprit très constructif.

Je vous rappelle que je suis débutant et que je ne réponds pas aux questions techniques, seuls vos professeurs (ou des experts) doivent apporter des réponses. Toutefois, j'essaie de vous fournir quelques éléments de réponse sur les thématiques générales.

Sans plus attendre voici les observations de Julien et ma réponse détaillée à la suite :

"Bonjour, ayant "tâter" l'aikido très rapidement je n'ai pas réussi à trouver mon bonheur, par précaution j'avais payer moitié moins cher mon adhésion car j'avais commencer en fin d'année scolaire. Je pense que cet art martial est trop rigide voir parfois quasi militaire (culture japonaise) trop riche en technique ce qui nuit à son efficacité (après tout dépend ce que vous recherchez) très hiérarchisé et élitiste, il y'à un certain mépris pour les débutants même après des années de pratique et pour une personne qui s'entraîne régulièrement depuis des années cela peut-être frustrant. Ca peut rebuter certains ce qui peut expliquer son insuccès. Cordialement

Julien"

L'Aïkido : Trop rigide et trop riche ?

Bonjour Julien. Tout d'abord, je suis navré de voir que tu n'as pas trouvé ton bonheur en essayant l'Aïkido à un moment de ton parcours martial. Tu soulèves dans ton commentaire plusieurs problématiques intéressantes et notamment deux d'entre elles : la rigidité de l'Aïkido liée à sa culture et la multitude de techniques proposées par la discipline qui, selon toi, va nuire directement à son efficacité.

Avant de t'exposer ma vision des choses sur le sujet, je te précise tout d'abord deux éléments. Il est possible que nous soyons un peu en décalage toi et moi, entre mes propos et  ton expérience concrète. En effet, la force et la faiblesse de l'Aïkido font que deux écoles peuvent appliquer une étiquette très différente et des formes techniques parfois... divergentes. Sur la forme, cela nécessite parfois qu'on raccorde nos violons pour se comprendre. Est-ce un problème de fond ? Oui et non.

Oui car parfois un débutant est totalement perdu dans sa recherche car un dojo d'Aïkido peut dire une chose et un autre dojo en faire une autre. Non car si nous entrons dans la spirale d'une uniformisation globalisée, nous perdrons assurément en qualité de pratique. Il faut conserver certaines de nos différentes comme un trésor (tu noteras que je précise "certaines").

Ce préambule terminé, je te donne mon avis sans filtre.

Concernant la rigidité de l'étiquette que tu évoques on peut effectivement constater en Aïkido un excès de zèle de certains professeurs sur le sujet. Je comprends que tu puisses parfois penser que certains pratiquants se présentent comme pratiquant traditionnel dans une configuration où tout le monde se targue d'être plus japonais que les japonais eux-mêmes.

Cela n'est pas toujours constructif. Cela peut souvent amener un à rejet évident des débutants et parfois même donne une très mauvaise image de notre discipline présentée comme repliée sur elle-même parce qu'elle pratiquerait un art martial traditionnel là où, en réalité, nous avons une pratique aussi moderne que les autres Budo classiques (aspect compétitif mis à part) mais juste rigidifiée.

Pour te donner un exemple très concret qu'on utilise souvent : porter un hakama sur un keikogi ne rend pas non plus notre Aïkido plus traditionnel que les autres gendaï Budo...

C'est effectivement le mal de l'Aïkido de croire qu'il est plus traditionnel que les autres. La singularité de notre discipline ne se trouve pas dans cet aspect extrêmement galvaudé et mal compris qu'est LA tradition. Je peux même te préciser qu'il est peu probable que tu trouves un Aïkido "réellement traditionnel" de nos jours car le respect de l'étiquette et de certaines traditions ne va pas rendre traditionnels de facto le contenu technique et les principes de nos écoles. Je m'explique : l'étiquette ne rend pas à l'Aïkido sa nature "originelle" ou authentique par comparaison à ce qu'on juge comme une pratique idéale (ou idéalisée ?) : à savoir principalement la pratique de Moriheï Ueshiba.

Précisons d'ailleurs sur ce point pour être totalement honnête que 99% des pratiquants d'Aïkido sont bien plus proches de l'Aïkido de son fils, Kisshomaru Ueshiba (dont il faut respecter à la fois le travail, l'abnégation et les efforts de vulgarisation technique) ou de ses élèves directs que du fondateur lui-même.

Alors tu me diras, à quoi bon respecter les traditions ? Pourquoi demeurer rigide sur l'étiquette que tout le monde interprète à sa façon ?

Je pense sur ce point qu'il ne faut pas tout confondre. Oui, il est important de maintenir dans les dojos d'Aïkido et ailleurs une certaine étiquette. Cette étiquette est aussi le reflet d'un contexte et d'une culture japonaise indissociable de notre discipline. Ces codes peuvent sembler parfois très injustes ou contraignants mais ils sont là aussi pour apporter ce contexte, des repères et une certaine forme de compréhension pour tous.

Evidemment, je ne dis pas ici qu'il faut se comporter dans un dojo comme si nous étions dans les années 50 à Tokyo. Toutefois, certaines composantes de notre étiquette font aussi l'identité culturelle de notre pratique et il est bon de les conserver pour les raisons évoquées plus haut.

Concernant le catalogue technique de l'Aïkido que tu évoques ensuite. Je te rejoins sur certains points. Oui, cette immense variété de technique peut nuire à l'efficacité de notre art si cet aspect est proposé à l'étude. Il ne faut pas proposer des formes qui ne fonctionnent pas dans un contexte qu'on présente comme celui de la self-défense ou il s'agit alors d'un abus de confiance et d'un manque d'honnêteté intellectuelle. Cependant, je souhaite t'apporter deux précisions :

-La richesse technique de l'Aïkido provient de son parent direct, le Daito Ryu aïkijujutsu. Ce dernier peut difficilement se targuer d'être inefficace si la bonne technique est appliquée dans le bon contexte avec un  partenaire non complaisant. Je t'invite comme moi à faire la comparaison entre ces deux arts à travers tes propres recherches comme j'ai pu moi même le faire en allant à la rencontre de Takeshi Kawabe par exemple. Tu verras que cette richesse possèdent de nombreux sens et leur utilité dans l'action.

-Cette multitude de techniques n'a pas toujours, pour l'Aïkido, la volonté directe d'être efficace. Certaines sont pratiquées dans une forme dites "de kata" avec deux partenaires avertis afin d'étudier différents principes de notre école. Elles conservent un intérêt à la fois culturel mais également corporel pour travailler dans des situations complexes avec les atouts et les stratégies proposées par l'Aïkido. A ce sujet, soyons honnête, l'Aïkido est un Budo, il n'a pas, selon moi, la nécessité d'être toujours efficace dans tous les cas et ce n'est pas sa finalité directe. Si le sujet de la nature du budo t'intéresse, je t'invite à consulter différents experts plus calés que moi (Stanley Pranin, Alex. C Bennet, Karl Friday, J.B Tavernier, Elis Amdur etc...) ou à lire mes articles couvrant leurs travaux.

 

L'Aïkido : Un art élitiste ?

En deuxième partie de ton commentaire, tu soulèves enfin une problématique essentielle. Le désamour du grand public de l'Aïkido, comme le prouve ton témoignage sur mes colonnes, s'explique régulièrement par un aspect assez hautain, hermétique et élitiste.

Même au sein du microcosme martial, l'Aïkidoka moyen a souvent la réputation d'être un illuminé dans le meilleur des cas. Pourquoi cette réputation ?

De facto, nous sommes effectivement un art martial atypique. A la fois budo moderne et toutefois hors de l'univers compétitif. Par conséquent notre relation au monde du sport est paradoxale ou ambiguë comme je le précisais dans mon billet sur le sujet. Cette position peut même placer un pratiquant dans une position compliquée selon ses connaissances, son avis et ses préférences à ce sujet.

A la fois dans et hors de la modernité, nous sommes donc souvent un peu victime de ce positionnement qu'on juge parfois intenable, archaïque ou stupide. Mon point de vue personnel est le suivant : l'Aïkido doit demeurer hors de l'aspect compétitif et sans compétition. Rien n'empêche en revanche d'assumer pleinement certains aspects sportifs très bénéfiques qu'on trouve dans la pratique courante de l'Aïkido. Ce n'est pas parce que la nature même de l'Aïkido n'est pas compétitive que les aspects les plus athlétiques d'un art martial sont interdits d'une mise en valeur.

Ta critique est toutefois en partie fondée du fait du niveau et de l'attitude de certains pratiquants. Qui n'a pas entendu certains Aïkidokas (et pas uniquement des élèves) se prévaloir de compétences pointues en matière de self-defense qui sont en réalité hors contextes ou inexistantes ? Qui n'a pas entendu un pratiquant d'Aïkido maltraiter (en paroles) les autres sportifs pour le simple prétexte de sa différence sur le sujet ? Qui n'a pas vu certains Aïkidokas se présenter comme une forme d'élite par rapport à d'autres ?

L'arrogance dans le milieu martial est monnaie courante. Nous souffrons autant que les autres de ces soucis d'égo. Nous sommes d'ailleurs particulièrement concernés car nous sommes rarement confrontés à d'autres du fait justement de l'absence de compétition. Ainsi, les gradés qui tournent dans un microcosme fermé, éternellement dans une zone identique de confort, pratiquant avec les mêmes personnes dans un dojo où les codes sont connus, sont vite persuadés qu'ils détiennent à la fois une certaine position et une certaine justesse par rapport aux autres...

Bien souvent, 99% de ces affirmations cités au dessus sont erronées et, comme tu le vois, beaucoup d'autres pratiquants sont tout à fait capables de le voir.

 

Conclusion : garder-l'esprit ouvert :

Je ne peux pas me mettre à ta place sur un tapis, Julien. J'espère juste que tu constateras que, si ta critique est fondée sur certains aspects, l'Aïkido est bien plus riche et différent au-delà de ses propres défauts. Si je n'avais qu'une chose à te dire, c'est de garder l'esprit et le cœur ouvert.

Peut-être qu'un jour, tu croiseras un Aïkido qui te convient et les professeurs qui vont avec.

Rédigé par Aïki-Kohaï

Publié dans #Actualités-Nouveautés, #Pratique de l'Aïkido, #Arts martiaux

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S
Bonsoir à tous,<br /> Beaucoup de lecture... intéressante. Allons à l’essentiel.<br /> L’aikido est un budo, et donc un système éducatif qui permet de forger et éduquer le corps à différentes situations. En effet, le panel technique est très large, et pourrait l’être encore plus ! Dans les dojos dit traditionnels, rattachés à Saito Morihiro Sensei , donc la lignée du Fondateur, nous y étudions des principes fondamentaux, à savoir 6/7 principes en gros. Lorsque vous les appliquez dans chaque technique, vous faites de l’aikido, d’où cette notion de takemusu aiki chère au Fondateur.<br /> Regardez cette vidéo d’avant guerre 1935, VS les années 50/60. https://youtu.be/e03dfok9Sdo Vous ne verrez aucune différence dans le fond !! Et si peu dans la forme... <br /> je pense que l’aikido tel qu’il est proposé en france est perte de vitesse car trop dilué, éloigné de l’aikido que l’on pratiquait même dans les années 80 ! <br /> En ayant les bonnes bases fondamentales, vous êtes à même de pratiquer librement le systema... entre autres. <br /> L’important est de pratiquer, on apprend par la transpiration, et en répétant inlassablement afin que ça s’inscrive dans le corps. <br /> Dernier point : Saito Sensei disait qu’il fallait choisir un bon professeur. Quelqu’un de passionné est une bonne base.<br /> Belle soirée à tous
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M
Merci pour ce developpement.<br /> Cela m’amene à une réflexion, et si je peux me permettre, je la partage avec vous, sans aucune prétention, je me ferais même une joie d’etre contredit. Disons que le formuler m’aide aussi à pousser ma réflexion plus loin. <br /> La différence entre la politique et la philosophie est que l’une cherche des réponses; l’autre soulève des questions. <br /> L’aikido est une voie de recherche, le questionnement est permanent et les réponses (jamais définitives) sont autant de nouvelles questions. C’est une manifestation de l’impermanence, concept cher aux japonais. Le printemps ne dure pas. Mais il y a des constantes, c’est que le printemps reviendra! L’etiquette, est une de ces constantes dans cet océan de réponses impermanentes (la martialite, irimi, ... , en sont d’autres)<br /> Concernant l’efficacité... L’aikido est une recherche, la recherche de la paix. Le rapport a l’efficacite est à manipuler avec des pincettes car le couteau est plus efficace que les mains nues, le revolver est plus efficace que le couteau, le fusil mitrailleur est plus efficace que le pistolet, le chat d’assaut est plus efficace que le fusil mitrailleur et la bombe nucléaire est plus efficace que le char d’assaut...<br /> Chercher l’efficacité à tout prix revient à se préparer à la guerre et contrairement à l’adage préparer la guerre ne prépare pas la paix: préparer la guerre prépare la guerre. L’aikido et les autres budos ont été créés peu après que le Japon ait essuyé deux bombes nucléaires, ce n’est pas pour rien. Canaliser les pulsions humaines, sublimer notre Animalité à travers le reishiki pour la transformer en Humanité. Je crois que c’est là, la voie du budo. Maître Ueshiba ne disait pas que l’aikido servirait a quiconque à se défendre. Il a parlé par contre de « faire des hommes au cœur droit » il a dit que « la seule victoire qui compte est la victoire sur soi même ». La technique et l’entrainement sont le support de tout cela. Mais bien sûr ça peut ne pas convenir à tout le monde, tout dépend de la recherche de chacun: (et je le dis avec humour) si quelqu’un recherche « le truc le plus efficace » pour se défendre, le trouvera t’il dans un dojo d’aikido? Peut être plus dans un stand de tir: porter un colt à la ceinture c’est pas mal (à mois que le fusil mitrailleur...? Ou non tiens un char d’assaut? Heu sinon une bombe nucléaire en format pocket ça existe?)<br /> Tout dépend ce que l’on veut. Vivre sereinement les 5 minutes d’une agression qui n’arrivera peut être jamais, ou vivre sereinement dans chaque instant sa vie?<br /> ;-)
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A
Merci pour cette analyse. Elle peut tout à fait rejoindre certains des éléments que je donnais. Et elle va enrichir la réflexion de tous :-)<br /> <br /> Pierre.
A
Billet très intéressant et réponse intelligente. J'ai eu moi aussi l'occasion de croiser des aikidoka convaincus de l'efficacité de leur aikido (ou de leur ego) mais j'ai aussi eu la chance de rencontrer des aikidoka sans prétention mais, cependant, efficaces non pas parce que leur technique était supérieure mais parce que leur pédagogie était bonne. Pratiquer avec ou apprendre d'eux m'a donné envie de continuer. Cela fait 22 ans que ça dure et j'espère que ça continuera encore.<br /> Merci en tout cas pour le temps que tu accordes à tes billets et aux réponses que tu y apportes.<br /> Je te lisais déjà sur les forums (de l'amour) et je ne suis pas surpris du succès de ton blog.<br /> Cordialement<br /> Antoine (autrefois Tenshi)
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A
Merci pour ce retour. Malgré le succès du blog, il est important de continuer à répondre à toutes les questions, même les plus "simples" en apparence. Elles permettent ainsi de soulever des sujets qui sont primordiaux pour l'ensemble. J'essaie donc d'apporter mes lumières en restant dans les limites que je me suis fixé.<br /> <br /> Pierre.