Le choix d’être acteur de l’Aïkido : L’Aïki-kohaï fête sa deuxième année !
Publié le 11 Avril 2016
Au printemps 2014, alors que je reprenais mon voyage martial de zéro, j’ai fait le choix de ne pas être une voix silencieuse de l’Aïkido. Cette position n’a jamais été simple car elle demeure atypique pour un débutant. Dans la hiérarchie strictement pyramidale de l’univers martial traditionnel, elle peut être perçue parfois comme une chance mais aussi comme une anomalie ou même un problème selon les tatamis où vos pieds légers se posent.
L’adage Japonais ne dit-il pas «le clou qui dépasse se fait marteler » ?
Bien souvent, un kohaï ne dira pas ce qu’il pense par crainte de mal s’exprimer, de médire, de surestimer sa place ou encore d’apporter l’opprobre sur sa propre hiérarchie. En décidant sciemment d’inverser ce principe de mutisme convenu, on s’expose bien normalement aux regards, aux préjugés, aux critiques, à sa mise en responsabilité alors que personne n’attend du débutant qu’il s’exprime ou bien qu’il juge.
Pourquoi prendre le risque d’aller sur des terrains dangereux sur lequel personne ne va vous attendre ?
Depuis le début de l’aventure Aïki-kohaï, j’ai pourtant souhaité inverser pour vous ce rapport biaisé des choses parce que je l’estime excessivement mauvais et parce que je suis totalement libre de mon propos.
Les rapports trop verticaux sont une plaie ouverte dans le corps de nombreuses disciplines martiales qui va figer le savoir. La parole du maître et de « l’expert » devient la seule valable. La vision du professeur y reste la seule possible. L'horizon du Dojo est le seul et l'unique. L’éducation, le respect, l’étiquette, la pression des anciens, le désir d’imiter pour apprendre plus vite, tout est fait pour que celui qui ne porte pas son grade se sente obligé d’opiner du chef benoitement après avoir réglé sa cotisation tandis qu’on l’instruit s’il veut espérer en savoir plus.
Par extension, cet attentisme exacerbe l’imitation la plus absolue, l’envie de l’élève de prendre la place du maître ou plus facilement du gradé, de devenir lui aussi "le maître" afin d’inverser ses propres rapports à l’autre sur le tatami et laisse à penser qu’une fois ce but ultime atteint, plus rien ne reste à faire si ce n’est reproduire cette relation tordue pour que la boucle continue de tourner ad nauseam. Ne nous cachons pas derrière nos petits doigts sans comprendre où je souhaite en venir : Aïkido ou non, chacun de vous n'est pas dupe et demeure témoins de ces situations de compétition pour grimper à l'échelle qui découlent de la sacralité du maître en oubliant dans la relation son élève.
Est-ce là notre Aïkido et où est l'élève dans tout cela ? Celui tout en bas de l'échelle qui ne comprend rien à ces singeries.
En tant que Budoka, nous sommes encore trop souvent dans un aspect gagnant-perdant alors que le vernis de notre apprentissage est censé bannir ce fonctionnement nocif.
Beaucoup estiment « l’esprit du débutant » (shoshin) et parle de cet état d’esprit « intérieur » sans pour autant être capable de constater qu’il doit s’exprimer dans toutes ses composantes et à fortiori par celui qui l’incarne le mieux : le débutant lui même. Beaucoup pensent respecter les « principes traditionnels du Budo » en continuant d’alimenter un tel système parfois "plus Japonais que les Japonais" où le kohaï n’est qu’un consommateur benêt d'une tradition qui n'a rien de traditionnel et où il est séparé par un plafond de verre de son propre apprentissage.
Est-ce la réalité de la tradition ?
Malgré l'immense respect pour ses maîtres et en particulier Sokaku Takeda, le fondateur de l’Aïkido n’était pas un imitateur ni un consommateur mais bien un chercheur. Des milliers de techniques du Daito Ryu sont restés seulement certains principes dans l’art que Morihei Ueshiba expérimenta toute sa vie. De son étude de la bayonnette à l'armée est resté un positionnement. De son expérimentation des armes de différentes écoles est né un tout autre système. De ces questionnements sur les arts martiaux sont nés de nombreux courants, des écoles, des styles et même de nouvelles disciplines, certains de ces groupements ravivant l’intérêt parfois pour d’autres koryus oubliées ou non.
Le fondateur du Karaté ou du Judo ne sont pas non plus des imitateurs et des consommateurs. Ils ont su puiser également dans les profondeurs de la tradition pour initier une révolution du savoir amenant au Budo l’essentiel du passé dans un contexte plus moderne.
Je reste persuadé tout d'abord que cette révolution n'est pas morte avec son époque et qu'elle doit se poursuivre.
Je suis convaincu ensuite que nous avons tout à gagner en redonnant à l’élève un rôle proactif. En lui confiant la responsabilité de ses propres recherches. En l’incitant à trouver ses propres réponses et non en appliquant un catalogue destiné à l'infantiliser ou bien à l'aveugler dans ses propres certitudes. Permettons nous d’aller jusqu’au bout de certaines impasses ou d’autres chemins parfois différents.
Depuis le début de l’aventure Aïki-kohaï, et cela fait aujourd’hui deux ans, j’espère avoir pu vous communiquer l’envie de ne pas être un simple consommateur de votre pratique martiale. Rien de mal à le demeurer parfois mais je suis convaincu qu’il est également possible de sauter le pas lors d’étapes importantes de votre construction. Je souhaite montrer humblement que c’est possible d’être un chercheur et non d’attendre que les autres recherchent.
Ne pas être un simple kohaï est une décision qui m’a permis sans cesse de progresser. De me remettre en cause. J’ai pris toutes les embuches, des difficultés, les critiques, les erreurs liées à cette position comme un moyen simple de me dépasser et de me motiver.
J’ai également pris tous les encouragements, tous les soutiens, toutes les marques de confiance et les réussites comme des pavés dans la mare ou des actes de foi. Plus de 60 0000 personnes sont passés par mes colonnes en deux ans et certains ne le regrettent pas (du moins c’est mon sentiment au regard de beaucoup des feed-back que j’ai pu recevoir d’élèves ET de maîtres).
Je serai toujours sur les terrains dangereux ou personne ne m’attend parce que ce n’est pas sur les terrains plats qu’on peut estimer ses propres limites en restant dans sa zone de confort. Parfois, j’aurais tord. Parfois, je jugerais trop vite. Parfois, j’irais plus vite que la musique et vous pourrez m’estimer irrévérencieux. Parfois, peut être, vous trouverez finalement qu’il est possible qu’un élève puisse mettre le doigt sur quelque chose d’essentiel en écoutant son maître dont le rôle reste évidemment complémentaire.
Dans tous les cas, j’espère que vous trouverez de l’envie pour vous-même. De la curiosité dans la recherche avant tout. Nous continuerons aussi (bien entendu) à rire de mes (grosses) bêtises sur ce blog et parfois, j’espère que vous trouverez de l’application dans mon travail pour la saison 2016/2017.
Merci de votre soutien de votre grande fidélité ! Un merci tout particulier à mes maîtres Philippe Monfouga, Etsuko Iida, Alma Noubel et à ceux qui sont toujours là pour me lire, me faire confiance et m'encourager comme Eléonore, Takeharu Noro, Odyle Noro-Tavel, Philippe Gouttard,