Ethique, dignité et arts martiaux : Le coup de gueule du Kohaï
Publié le 24 Septembre 2015
Le petit monde de l'Aïkido parle souvent du MMA (Mixed Martial Arts) avec une position tranchée. Il y a ceux qui aiment et qui peuvent occasionnellement s'y intéresser et il y a ceux qui détestent et qui jugent que l'encadrement de la discipline est insuffisant ou trop mercantile. A l'occasion de ce qu'on pourrait considérer comme la première exhibitition légale sur le territoire Français du MMA en cage lors d'un gala organisé au Cirque d'hiver à Paris le 19 septembre dernier, je me suis d'abord intéressé au match opposant Florent Betorangal à Karl Amoussou pour une raison simple :
-Florent Betorangal est venu l'année dernière rendre une petite visite au Korindo afin de découvrir l'Aïkido Kishinkaï et de faire découvrir à Léo Tamaki sa discipline dans le cadre de l'émission Gong.
Mais au delà de la curiosité envers cet athlète d'où l'ouverture d'esprit me semblait sympathique, c'est surtout ce que j'ai pu lire en marge de cet événement qui m'a interpellé. Comme pour tous les événements de ce type déclaré à la DDCS (direction départementale de la cohésion sociale) avec dépôt de dossier, l'absence de réponse de l'administration vaut acceptation de cette dernière et validation de la légalité et de la sécurité de l'événement. Malgré cette autorisation tacite (qu'on peut imaginer dûe à la lenteur des rouages plus qu'à la position officielle du ministère des sports) ponctuée de nombreux contrôles policiers et suscitant la colère du ministère, il est surtout intéressant de noter en marge les déclarations de TRES nombreux "experts" sur la question du MMA qui serait avant tout :
-Illégal,
-Trop violent,
-Mal encadré,
-Une atteinte à la dignité humaine du fait des frappes au sol.
Ces affirmations (et notamment la dernière) sont pour ma part un non-sens total. Précisons que je ne suis pas pratiquant de MMA et je ne m'intéresse qu'à titre occasionnel à cette discipline, c'est donc avec du recul et sans partis pris que je me suis interrogé sur ces "affirmations" et notamment par le prisme de l'Aïkido.
Une fois n'est pas coutume, je vais pousser mon petit coup-de-gueule en citant (pour une fois) de nombreux articles de presse généralement non spécialisée.
LA PETITE HISTOIRE JURIDIQUE D'UN NON-SENS TECHNIQUE :
Jusque là les positions officielles françaises concernant la légalité du MMA se base avant tout sur une recommandation n° R 99-11 du conseil de l'Europe prise le 22 avril 1999, c'est à dire un acte juridique prononçé il y a plus de 15 ans jugeant la pratique du MMA (alors sous l'appelation "combat libre" qui fait partie des trois appelations courantes usitées du MMA avec le free-fight) comme "contraire aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales". Cette recommandation préconise aux gouvernements des Etats membres "d'entreprendre toutes les mesures nécessaires pour interdire et empêcher les combats libres [...]" et considère que ces combats "constituent un danger pour les spectateurs, compromettent la santé des combattants et ont des liens avec des activités illégales [...]". Rappelons que le MMA existe depuis les années 90 et qu'à cette époque il n'était évidemment pas du tout le même que celui pratiqué dans les rings, les cages et les Dojos d'aujourd'hui.
Imaginez un instant, amis lectrices et lecteurs, qu'on juge l'Aïkido au niveau légal et éthique sur un instant T, 9 ans après sa création ? Imaginez maintenant qu'on juge de nos jours votre discipline sur la base d'éléments techniques et organisationnels datant de 15, 20 ans ou plus ? Si les officiels européens (qui sont ils d'ailleurs ?) de 1999 observaient l'Aïkido tel que pratiqué en 1940 (avant la guerre donc) ou dans les années 50 par nos premiers pionniers comme Tadashi Abe ou Minoru Mochizuki, comment jugeraient-ils cela ? Et comment honnêtement espérer le comparer 15 ans plus tard à la discipline telle que pratiquée par d'autres experts ?
Dans la même veine, le CSA Français se fonde sur cette recommandation et l'article 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée concernant la liberté de communication (des textes vieux de plus de 15 et 20 ans donc...) pour recommander en 2005 aux "éditeurs de services de télévision de ne pas diffuser de combats qui ne seraient pas régis par une fédération nationale agréée par le ministère en charge des Sports ou, s'agissant des manifestations se déroulant à l'étranger, qui ne répondraient pas aux exigences définis" (...) et qui sont (je cite bien entendu) :
- "des règles de compétition respectant l'intégrité physique et morale des sportifs ;
- la transmission de valeurs éducatives ;
- un encadrement médical adapté ;
- des contrôles anti-dopage ;
- un encadrement formé : arbitres, juges, officiels, ... ;
- combattants d'égale valeur technique et de poids comparable".
Le code du sport d'autres recommandations européennes de ce type (et de la même période, je pense à la recommandation R 92-13 relative à la Charte européenne du sport) vont dans le même sens, sont parfois confirmés par des arrêtés préfectoraux et représentent les fondations de l'argumentaire actuel (et archaïque) des officiels de France sur le sujet.
Cet argumentaire se développe selon les principaux éléments suivants :
A-L'union européenne veut développer la "dimension européenne du sport, en promouvant l'équité des compétitions sportives" ainsi que le respect de l'intégrité physique des pratiquants.
B-Les règles du MMA comportent des frappes au sol jugées violentes et dégradantes pour ceux qui les subissent. Elles ne respecteraient par l'intégrité physique évoquée ci-dessus.
C-Frapper un homme à terre est également jugée en ce sens comme une atteinte à la dignité humaine.
D-Le MMA serait donc illégal pour les 3 raisons précitées et "sans aucune valeur morale" comme semblait la décrire (selon la presse, précisons le) notre Teddy Riner national.
Je laisse évidemment seuls juges mes chers lecteurs de ce raisonnement que, pour ma part, je trouve complètement bancal tant sur le niveau juridique qu'au point de vue technique le plus élémentaire.
Rappelons que le MMA est justement la somme technique de plusieurs autres arts martiaux considérés comme tout à fait légaux en France. Ces éléments (et notamment les frappes au sol) sont empruntés et dérivés de plusieurs formes de Boxe, de la lutte, du Judo, du Jiu-jitsu brésilien ect ect... Les techniques de préhensions et de soumission au sol sont fréquemment utilisées par beaucoup d'autres arts martiaux et si l'on pousse plus loin le raisonnement en allant là encore vers le prisme de l'Aïkido...le suwari waza (techniques à genoux) ne comporte t'il pas des attaques avec frappes au sol et immobilisations ? Que dire d'autres techniques comportant des étranglements ? Que dire des projections (qu'on peut juger d'un point de vue physiologique tout aussi violent qu'une frappe au sol) ? Que de dire des frappes au pied touchant souvent les cotés du visage qu'on observe fréquemment dans les compétitions d'autres Budo modernes ou d'autres disciplines fédérales axées sur la défense personnelle la plus efficace possible ?
Pourquoi donc juger qu'une technique est "contraire à la dignité humaine" et illégale lorsqu'elle est pratiquée par une discipline et tout à fait sportive et légale lorsqu'elle est utilisée fréquemment par une autre dans un cadre public (quelques mises hors combat se font par frappe au sol dans la garde en Jiu-Jitsu sportif par exemple) ?
Pour quelle raison est-ce qu'un jodan tsuki porté avec une totale sincérité dans un art martial dit légal (dans une compétition de Kempo par exemple) est-il moins une atteinte à mon "intégrité morale" qu'un tsuki porté en MMA ?
Rappelons également concernant la règlementation en vigueur que la commission athlétique du New Jersey a édifié dès 2000 un répertoire de règles pour l'UFC intitulé Unified Rules of Mixed Martial Arts et compulsable partout. D'ailleurs, à ce jour, la quasi-totalité des événements officiels de MMA à ma connaissance utilisent une règlementation contraignante et précise concernant la durée du match, les coups (dont un nombre importants concernant les parties vitales sont interdits), prises et mouvements autorisés, les règles entourant les K.O et même les comportements "anti-sportif" susceptibles de causer des blessures à l'adversaire. Notons si ce n'était pas déjà évident que ces combats sont aujourd'hui arbitrés pour appliquer ces règles, que des contrôles existent déjà depuis très longtemps, que les organisateurs disposent de soigneurs sur place ect ect...
Comment expliquer le raisonnement de notre secrétaire d'état actuel aux sports indiquant que le MMA est comparable "aux jeux du cirque" ou encore cette pique foudroyante de Chantal Jouanno, ancienne karatéka et ministre des sports en 2010 comparant le MMA à des combats de coqs ou de chiens ?
Cette position d'interdiction ferme est cependant soutenue par la commission consultative des arts martiaux et des sports de combats, qui est compétente en France pour donner son avis sur toutes les questions techniques, déontologiques, administratives et de sécurité...
...Les chiffres officiels décomptent pourtant 700 associations estampillées MMA (ou parfois déguisées sous d'autres appelations) sur le territoire Français dont les affiliations sont diverses puisque le MMA ne fait pas partie des disciplines bénéficiant d'une délégation ministérielle...
A ce stade, vous constatez déjà qu'on marche sur la tête en constatant que des dispositions légales sont prises pour interdire une discipline qui n'est pas censé remplir des conditions dont elle remplit pourtant déjà la quasi totalité du cahier des charges depuis des années (si ce n'est l'agrément et l'encadrement fédéral bien entendu...).
L'HYPOCRISIE PAR LA PREUVE :
Vous trouverez justement en introduction de cet article la vidéo d'un des combats qui se déroulaient lors du CAGE ENCOUNTER ce 19 septembre 2015. Je vous invite à bien l'observer et très rapidement à la mettre en comparaison avec d'autres vidéos de disciplines martiales légales et officielles. Pour revenir précisément à la vidéo de ce billet dans les détails, je commenterais ceci : Les premières minutes comportent des techniques de balayage et des frappes qu'on peut observer quotidiennement ailleurs (je pense au Karaté, au kick-boxing ou au Taekwondo en compétition notamment). Ces "mouvements d'approche" se terminent vers 2.30 par une amenée au sol qu'on va trouver dans d'autres arts martiaux plus classiques et légaux bien entendu (je pense notamment au Judo ou au Jiu Jitsu Brésilien) et, effectivement, la seule différence sont les frappes au sol (qu'on peut juger aussi violentes qu'une frappe en boxe ni plus ni moins et tout aussi spectaculaire).
Alors oui, il y a le coté "cage" qui fait un peu beaucoup Catch Américain en collant. Effectivement, c'est violent mais pas plus (ni moins) que le dernier combat du dur à cuir Floyd Mayweather par exemple et selon mon analyse. Effectivement, il y a le coté bling-bling que personnellement je n'apprécie pas du tout mais que je juge fréquent et courant dans bien d'autres disciplines sportives et pas uniquement les arts martiaux (pensons surtout au Football par exemple dont je ne suis pas amateur...).
Et si vous n'êtes pas convaincu de mon propos (et c'est votre droit) je vous invite également à comparer à l'aune de ralentis sur ces frappes de boxe avant de juger hâtivement le MMA comme une atteinte à la dignité humaine. Et pourtant la boxe est considérée comme un "art noble" (rappelons nous le marquis de Queensburry) que j'apprécie personnellement tout en étant lucide sur sa capacité de destruction du corps et surtout...de mon précieux cerveau.
En conclusion et d'un point de vue technique ainsi qu'au regard d'une incroyable quantité de vidéos de sports légaux de compétition sur le sol Français, je souhaite vous dire ici un grand stop à l'hypocrisie la plus totale et aux prises d'otage politique (rappelons que le sponsoring de l'UFC a causé l'annulation/report des championnats d’Europe 2015 de Judo). De nombreux athlètes et pratiquants d'arts martiaux de haut niveau comme Hidehiko Yoshida (champion du monde de Judo, médaillé d'or au J.O), Satoshi Ishii (champion d'asie et champion du monde de Judo), Ferrid Kheder (vainqueur des tournois de Munich et de Paris), Bertrand Amoussou (champion d'Europe par équipe de Judo, 4 fois champion du monde de jujitsu combat) ou Ronda Rousey (vice championne du monde de Judo, fille d’AnnaMara De Mars, championne du monde en 1984, rappelons le) qui étaient encore adulés parcequ'ils étaient judokas sont maintenant décriés par certains...uniquement parce qu'ils font du MMA. Et si l'on crache allègrement sur l'éthique et les valeurs humaines du MMA, que dire alors du Mixed Jiujitsu Arts (MJA) très récemment inventé par la Fédération Française de Judo pour tenter d'encadrer la discipline ?
Ces polémiques sont stériles, car tout le monde sait que le MMA fera et fait partie du paysage martial et que le MMA français n'est pas obligé de ressembler à l'UFC tout comme le basket français n'est pas la NBA. Toutes ces empoignades reflètent enfin pour moi une grande partie des raisons qui font que l'Aïkido ne doit surtout pas devenir un sport et/ou un art martial compétitif. C'est aussi pour ça que j'aime être Aïkidoka (même si nous sommes trèès loin d'être parfaits, je le reprécise car l'absence de compétition peut entrainer d'autres dérives). En somme, je ne vous dis pas d'aduler forcément le MMA dont je ne suis pas toujours un grand fan mais...ne décrions pas sans savoir des pratiquants de talent en invoquant des arguments "éthiques et moraux" à deux vitesses.
Posons nous ensemble enfin les bonnes questions : Quel art martial est jugé éthique et moral en France (comme par exemple la boxe, le Karaté, le Judo, l'Aïkido, le Taeknowndo, le Krav Maga, les arts de self defense...) et pourquoi l'est-il ? Qu'est ce que la moralité et l'éthique martiale en France ? Qui va considérer cette déontologie et pour quelles raisons ? Ces raisons sont elles en rapport réel avec le background historique d'un art martial et ses origines ou bien sont-elles des raisons politiques et financières ? J'ai ma petite idée la dessus mais, en bon kohaï, je vous laisse tirer vos propres conclusions en connaissance de cause.