Un Aïkido, différentes façons de s'y exprimer : Entretien avec Myriam Boussaboua
Publié le 9 Août 2015
Myriam lors d'un entrainement sous la direction de Maître Tamura (source : Collection Privée de M.Boussaboua/traitement : Aïki-kohaï)
Ainsi démarra ma correspondance avec Myriam Boussaboua. Trop éloignés l'un de l'autre, elle fut strictement électronique mais très enrichissante et spontanée. Je suis toujours fasciné et entouthiasmé par des parcours qui débutent si tôt et qui se poursuivent avec un tel éclat. Il est dit que nous allions bien nous entendre et notamment sur la question de l'Aïkido au féminin sur laquelle Myriam se trouve profondément engagée.
Aïki-kohaï : Bonjour, Myriam Boussaboua. Encore méconnue du grand public, vous êtes pourtant la première féminine de l'Indre 4ème dan en aïkido et l'une des plus jeunes pratiquantes à ce grade en France (25 ans). J'ai lu que vous aviez débuté l'Aïkido à six ans, pouvez-vous me raconter vos premiers cours ?
Myriam Boussaboua : J’ai, effectivement, débuté l’aïkido à l’âge de six ans, dans le club où enseigne mon père (Kamel Boussaboua), à Issoudun. En fait, mon père est l’un des co-enseignants les plus anciens avec Claude Nivet, Pascal Pottier et Andrés Vargas. C’est par conséquent mon père qui m’y a emmenée. C’était les professeurs à mes débuts, rejoints depuis quelques temps déjà par mes frères et d’autres assistants.
Tout comme pour mes deux frères, l’aïkido n’a donc pas été un choix. Du moins au début. L’intégration a été facile car mes frères pratiquaient déjà eux aussi depuis l’âge de six ans, et avaient déjà intégré le cours adultes. De plus, les enseignants étaient des familiers, donc j’étais moins intimidée.
L’aïkido a été au début l’occasion d’être au contact d’autres enfants et de pouvoir se défouler, même si les cours étaient très cadrés. Par la suite, c’est ce plaisir indéfinissable de la pratique pour la pratique qui devient le moteur de notre motivation.
Combien de membres de votre fratrie pratiquent l'Aïkido exactement ?
Nous sommes trois ; mes deux frères : Karim et Ismaël, et moi. Nous pratiquons tous trois l’Aïkido.
Etait-il difficile à vos débuts dans vous trouver dans un contexte martial sans avoir pu le choisir ? Votre père et vos frères ont-ils pu accompagner votre apprentissage et si oui, de quelle façon ?Je n’ai pas eu le choix, dans le sens que c’était comme une « tradition » dans la famille : à 6 ans, mon père nous emmenait avec lui à l’Aïkido. Mais ce n’était pas contraint et forcé, mon père voulait juste nous faire partager ses passions. Il voulait nous faire essayer au moins une fois, puis il nous appartenait de continuer ou pas. Ainsi, le 5 septembre 1995, il me tend un keikogi et me dit : « Tiens, essaie-ça, tu vas aller à l’Aïkido demain »…
Comme je le disais, je n’allais pas en terre inconnue, car combien de fois j’avais assisté aux cours en spectatrice avant de m’y mettre aussi. Je n’ai donc pas éprouvé de difficultés à intégrer cet art martial qui m’était finalement bien familier.
Quand j’ai rejoint les cours adultes, mes frères Karim et Ismaël, plus âgés que moi respectivement de 10 et 7 ans, m’ont beaucoup apporté par leur force de travail car ils étaient passionnés et pratiquaient intensément. Cela m’a beaucoup apporté de pratiquer avec eux, aussi bien sur le plan physique que technique.
J’ai bénéficié de l’enseignement de mon père, mais j’étais une élève parmi d’autres. C’était souvent à la maison, lors d’un cours improvisé dans le salon, qu’il y avait des échanges sur tel ou tel point particulier.
Cela dit, nous n’étions pas accaparés par l’Aïkido et avions d’autres points d’intérêt comme la pratique musicale, par exemple.
A quel moment avez-vous décidé de vous investir plus profondément dans la pratique et pourquoi ? Avez-vous un souvenir marquant à nous raconter qui a pu décider de votre investissement dans la voie ?
Il n’y a pas eu de moment particulier. Cela s’est fait progressivement et naturellement, sans que la volonté intervienne ; bien que l’influence de Tamura sensei et du milieu familial qui baignait dans l’aïkido, y ont sûrement pour quelque chose.
En dehors de votre premier professeur, avez-vous suivi d'autres senseïs "de référence" et pourquoi ?
Mon sensei de référence est, indiscutablement, maître Tamura dont j’avais entendu parler à la maison pendant des années avant de le rencontrer pour la première fois lors de sa venue à Issoudun pour un stage national en 1998. J’avais neuf ans et c’est un peu plus tard que j’aurai le plaisir de le suivre en stage jusqu’à sa disparition en 2010. Souvent, Tamura Nobuyoshi sensei passait me corriger et me consacrer quelques instants, allant jusqu’à se laisser projeter par moi ! C’était pour moi un grand honneur, et des moments inoubliables.
J’ai bien sûr eu l’occasion de pratiquer avec d’autres sensei, comme Yamada sensei, Ueshiba Mitsuteru waka sensei, et les C.E.N. de la FFAB. A Paris pour des raisons d’études, puis professionnelles, j’ai pu m’entraîner avec Jacques Bardet – un enseignant généreux et ouvert - qui m’a conseillée et encouragée.
Pouvez-vous raconter votre première rencontre avec Tamura sensei ?
Comme je le disais, ma première rencontre avec Tamura sensei fut là où j’habite, à Issoudun. C’était à l’occasion d’un stage national en décembre 1998. J’avais neuf ans et Tamura sensei m’avait lancé à plusieurs reprises un clin d’œil avec l’air de dire « ça va ? ». Mais le meilleur souvenir de ce stage, c’est une photo de lui qu’il avait signée pour moi. Puis je l’ai revu de nouveau à Issoudun en mars 2006 et ai continué de le suivre régulièrement en stage.
J'ai pu lire et voir également que vous avez pu pratiquer auprès de Mariko Takamizo sensei. Pouvez-vous me parler de votre ressenti sur sa pratique ?
J’ai pratiqué occasionnellement avec Mariko Takamizo sensei, aussi il m’est difficile d’avoir une vision très objective de sa pratique. Mais de ce que j’ai pu apprécier, c’est une pratique sobre qui ne verse pas dans l’esbrouffe.
Avez-vous déjà pu aller pratiquer au Japon où est-ce encore un projet ? Dans tous les cas, quels endroits et pratique et/ou quels professeurs vous intéressent là-bas ?
Je n’ai pas eu, encore, l’occasion de me rendre au Japon. Le voyage au Japon c’est comme un pèlerinage, tout aïkidoka en a rêvé, mais soyons honnêtes : un séjour de quelques semaines ne bouleversera pas notablement notre niveau, mais ça fait bien dans le CV :-). Un tel voyage n’a d’intérêt que pour rendre visite à des sensei qui ne quittent jamais le Japon. Aujourd'hui, de nombreux sensei japonais font fréquemment des passages en France, et il est donc très facile de pratiquer avec eux. Ceux qui m’intéressent le plus, sont les sensei de la première heure car ils ont connu O-sensei et sont donc comme une sorte de patrimoine de l’aïkido.
Je n'ai jamais eu la chance de vous observer avec les armes de l'Aïkido. Qu'évoque pour vous le Buki-waza et est-ce que c'est une recherche que vous souhaitez approfondir et/ou développer ?
Le travail des armes (Buki-waza) selon les principes de l’aïkido est une partie importante de l’aïkido. Je me souviens qu’un jour, le regretté René VDB avait conseillé à mon père de me le faire travailler davantage.
O-sensei ne manquait pas de se saisir d’un bokken ou d’un jo pour expliquer tel ou tel principe - Tamura sensei était aussi attaché à cela - c’est donc un des aspects de l’aïkido que je souhaite approfondir.
Etes-vous intéressée par d'autres disciplines que l'Aïkido ?
Je n’ai pas eu l’occasion de pratiquer d’autres disciplines, et je n’en ressens pas le besoin tant il y a à faire en aïkido. Ou peut-être le Yoga qui pourrait servir à mon aïkido.
Pourquoi cette discipline en particulier ?
J'ai vu que vous donniez des stages (et/ou des cours également sans doute). A quel âge avez-vous eu l'envie de passer...de l'autre côté du tatami et pourquoi ? Qu'essayez-vous de communiquer à vos élèves lors de vos séminaires par exemple ?
Là aussi, il n’y a pas eu la volonté d’enseigner. Des opportunités se sont présentées : au club d’abord, puis au sein du comité départemental de l’Indre qui souhaitait faire intervenir des féminines. De même au sein de la ligue du Centre, ainsi que d’autres invitations… J’ai répondu à ces opportunités favorablement car il me semblait naturel d’aller dans cette voie. Je ne les ai pas recherchées, mais pas évitées non plus.
Pour moi, enseigner c’est partager, communiquer. Mais communiquer sur quoi ? Je transmets l’enseignement tel qu’il m’a été donné. A un débutant, je vais donner quelques éléments concrets qui l’aideront à mieux réussir et comprendre sa pratique ; pour des plus confirmés – comme ne cessait de le faire Tamura sensei – je vais insister sur le relâchement qui donnera plus de liberté. J’essaye aussi de tenir compte de l’âge des pratiquants, et je souhaite que les plus jeunes pratiquent de façon plus dynamique et intensive. Je recommande aux seniors de prendre soin d’eux, car la pratique de l’Aïkido doit être adaptée en tenant compte de l’âge.
Vous êtes aujourd'hui référente de la ligue du Centre auprès de la commission nationale des féminines de la FFAB. Pourquoi choisir une mission de ce type ?
Après la création de la Commission Nationale des Féminines de la FFAB, celle-ci avait besoin d’une référente par ligue pour faciliter son fonctionnement et sa communication. Nathalie Gérin-Roze (membre de la CNF) m’avait suggéré de le devenir pour ma ligue. Quand la ligue du Centre avait créé ce poste, c’est donc tout naturellement que j’ai proposé ma candidature, car il me semblait normal de s’investir, quand on le peut, dans cette fédération voulue par maître Tamura. J’ai été élue par l’assemblée générale, mais il n’y a aucune supériorité à être à ce poste. D’autres personnes auraient pu être désignées.
Cela allait aussi dans le sens de notre fédération qui souhaitait s’ouvrir davantage vers les jeunes.
Qu'évoque pour vous le shoshin ?
Shoshin, c’est l’esprit du débutant. Je dirais que c’est l’attitude mentale que toute personne devrait adopter pour mieux s’imprégner de ce qu’on lui enseigne ou de ce qu’elle observe. C’est aussi une façon de manifester sa confiance à celle ou celui qui vous transmet son expérience. Cette attitude – de celui qui est toujours prêt à apprendre – n’est pas qu’une preuve d’humilité, elle nous rend plus réceptifs et est surtout le moyen le plus efficace pour apprendre.
Je prépare un article sur l’Aïkido au féminin que je compte proposer à la revue fédérale « Seseragi ». J’en reprends ici quelques éléments.
Le problème avec les mots, c’est que parfois ils posent un cadre qui enferme la pensée. Pour moi l’aïkido au féminin n’existe pas en tant que « forme » identifiable. Un aïkido souple et fluide pourrait être qualifié de « féminin », pourtant cette forme de travail n’est pas l’apanage des femmes ; pas plus qu’une pratique « puissante », celui des hommes. Il n’y a qu’un aïkido, mais différentes façons de s’y exprimer, liées plus au tempérament et aux capacités physiques qu’à l’appartenance à tel ou tel sexe. Enfin, je crois. En tout cas, dans ma formation au cours de ces vingt années, que je sois une femme n’a jamais été un élément pris en compte par mes professeurs.
Les femmes représentent la moitié de l’Humanité, et statistiquement même un peu plus. Donc, comment les ignorer dans notre discipline ? Il est vrai qu’il faut parfois vaincre certains aprioris.
Je conseillerai aux débutantes de s’entraîner assidûment, car c’est cette assiduité qui va leur donner les moyens pour trouver du plaisir dans la pratique et partant de là, à s’investir plus profondément dans l’aïkido. Le reste est une question de temps.