Comprendre le fond pour vivre ensemble la forme
Publié le 25 Septembre 2014
A la lumière de quelques expériences personnelles et de la lecture de nouveaux ouvrages dont un d'Ellis Amdur, les Chroniques d'Henri Plée et celui de D.Stefanini intitulé "Lumière sur le vrai visage des arts martiaux", je dois dire que j'ai commencé à trifouiller mon encéphale de kohaï à des endroits où je ne devrais sans doute pas.
Est-ce à cause de mon plongeon dans la philo (la faute à Patrice) ou peut être que j'aime me donner tout seul des migraines à n'en plus finir, je ne sais pas. Toujours est il que je me suis un jour posé la question fatale : Est ce que je comprends réellement ce que je fais sur le tatami et pourquoi je le fais ?
Pratiquant d'Aïkido, je pratique donc un Budo. Le terme Budo est, contrairement à ce que beaucoup de Kohaï peuvent penser, est une invention très récente (fin XIXe et surtout XXe siècle) et j'enfonce peut être des portes ouvertes dans votre esprit en disant cela.
Le Budo est également "l'héritier" ou encore "l'évolution moderne" des Bu-jutsu (techniques ancestrales Japonaise et guerrières). Cette transformation des Bu-jutsu en Budo est liée à un contexte historique très dense (que beaucoup connaissent) et qui recoupent à la fois une évolution des techniques et des moyens pour combattre (nouvelles armes modernes etc...) et une évolution sociétale (disparition de la société féodale, transformation du mode de vie des guerriers déjà amorcée peu à peu lors de l'ère edo puis Meiji, interdiction de la plupart des arts martiaux au japon durant la seconde guerre et l'occupation américaine, transition des techniques de survie féodales vers des systèmes éducatifs etc etc...).
Je ne souhaite pas donner un cours d'histoire ici et je concluerai simplement ce préambule en admettant que le BUDO et par extension le DO (la voie), présente aujourd'hui la nature profonde d'un système d'éducation et d'enseignement. Il ne s'agit plus simplement de se défendre sur le champ de bataille ou d'efficacité, il s'agit aussi de l'enseignement de valeurs (physiques, mentales, parfois même spirituelles). On parle donc ici d'apprentissage profond.
Ce n'est peut être pas très clair dans l'esprit de pratiquants (surtout au début) mais nous ne sommes pas là pour devenir des "vrais" samouraïs (comment le pourrions nous sérieusement ?). Ce n'est peut être pas non plus le cas de beaucoup mais il ne s'agit pas non plus de venir au Dojo uniquement pour se défouler physiquement (comme si on allait faire du step, du jogging, ou n'importe quel sport). Le Budo n'est pas un sport et vise à faire s'appliquer les principes du Do à toutes les activités quotidiennes. Il s'agit d'améliorer l'humain en général et pas d'améliorer la façon de battre l'adversaire ou sa masse musculaire.
Mais alors, me direz vous, pourquoi est-ce qu'on ne parle majoritairement QUE de l'aspect sportif du Budo dans les médias ? Ou bien QUE de l'efficacité ? Pourquoi est-ce que le monde des arts martiaux prend un malin plaisir à se foutre sur la gueule (verbalement surtout) pour des questions de légitimité, d'étiquette, de tradition, d'efficacité, de prestige, d'argent, d'égo et de compétition ?
En tant que kohai, je ne sais pas et je ne le comprends pas si ce n'est que derrière les hommes les plus éclairés se cachent toujours les vices les plus vieux du monde. Il faut pourtant que tous se soucient de ce qu'ils laisseront aux kohais après eux (merci pour nous).
Un lit de querelles stériles ou véritable enseignement ?
Un empilage de connaissance basée sur l'égo ou sur un esprit d'ouverture et de paix ?
C'est d'ailleurs un cri d'alarme angoissant (et très perçant) de kohaï à tous les lecteurs sempaïs et senseïs qui prennent le temps de me lire. Beaucoup de kohaï sont naïfs de croire qu'ils viennent apprendre à se bagarrer mais il y a beaucoup de sempaïs qui, tout en trouvant cela naïf, ne font que leur parler d'efficacité par exemple.
Beaucoup de kohai ont des aprioris négatifs sur les autres écoles/maitres qu'ils ne fréquentent pas mais c'est souvent parce que leurs sempaïs et senseïs veillent à entretenir le feu de l'éternelle comparaison.
J'ai la chance d'avoir des enseignants et un entourage martial qui m'encourage à m'ouvrir l'esprit (Merciiiii Senseis !!), a questionner plus loin et ailleurs et même chez..."les autres" (même ceux qu'ils n'apprécient que peu ou pas) pour alimenter ma joyeuse recherche de petits cailloux sur le chemin du Do. Je me pose la question de ce que je fais et pourquoi parce que j'ai la possibilité de remettre en question et me remettre en question. Je me pose aussi la question à l'aube des réactions de ceux qui n'ont pas la même chance.
J'invite donc mes condisciples kohaï à faire le même voyage qu'on les y encourage ou pas. La simple question du : "pourquoi suis-je dans ce Dojo tous les soirs" est déjà un bon début.
Le Do est un long chemin Japonais où chaque arbre sur le coté est important (source :Sakestory)
D.Stefanini précise par exemple dans son ouvrage (qu'on aime ou qu'on aime pas, je pense que cela se discute) sur la préservation de la nature de l'art martial qu'un "respect dans la forme uniquement et non dans le fond est semblable à une coquille vide". Dans la pratique, on cherche souvent dans un premier temps à copier la forme en extérieur, on singe la culture asiatique et japonaise, son étiquette, on cherche à s'astreindre à des comportements qu'un occidental peine à faire sien s'il n'a ni les clefs ni le fond pour aller avec. Ce qui donne souvent est une superficialité vide de sens.
Kohais ! Ne nous laissons pas aller à répéter sans comprendre.
Lorsque vous portez un hakama, un gi, lorsque vous saluez, lorsque vous respectez l'intégrité de votre partenaire, lorsque vous observez Le Rei (l'étiquette) ou pratiquez à genoux, ce n'est pas tant la fioriture qui compte que l'essence. Il faut sans cesse se le redemander pour atteindre le fond des choses. Pourquoi est-ce que je fais cela ? Parce qu'on me dit simplement de le faire ? Ou parce qu'en réalité, cette règle m'apprend une nouvelle facette technique mais aussi l'humilité, la patience, le gout de la précision, l'ouverture d'esprit, la sincérité, la maîtrise de soi, le respect, la politesse, le courage...
Peu importe l'histoire et son contexte si il n'y a rien à comprendre et à apprendre d'un comportement. Le système de pensée occidentale ne doit pas forcément être abandonné non plus car il est parfois fort utile et éducatif d'appliquer des connaissances modernes, quelques raisonnements cartésiens que nous chérissons tant et même certaines connaissances scientifiques et/ou médicales que les maîtres de nos maîtres ne pouvaient pas connaître. Le tout est encore et toujours d'assimiler le fond au delà de la forme à l'aune de tous les outils utiles pour pouvoir complètement l'intégrer et enfin saisir l'essence.
Lorsque je me montre poli et bienveillant envers mon partenaire (même si lui, à l'inverse, est un vrai salaud),
et pourquoi ? Est-ce que je le fais parce que c'est le numéro 26 de la longue liste sur le Rei qu'un sensei placarde partout ? Ou bien, parce que je veux sincèrement lui faire comprendre quelque chose et apprendre à ne pas préjuger du premier venu ? Lorsque je viens sur le tatami avec mon Gi Ywata qui roxe du poney avec mon nom brodé en vert pomme bien mûre dessus (exemple non contractuel et purement fictif). Est ce que je le porte pour me démarquer, pour montrer mon appartenance à la voie et mon respect pour elle, ou bien est-ce que j'ai envisagé concernant ma tenue qu'il s'agit aussi d'un respect courtois pour une convention et pourquoi cela ?Tamura sensei mentionnait notamment dans son ouvrage sur le Rei que "l'étiquette est l'expression directe du coeur". Si j'interprête correctement cela, on peut aisément penser que le comportement extérieur n'est que le reflet de l'intérieur. Ainsi, sans travail sur le fond de la voie, sans imprégnation profonde, votre reflet sur le tatami (même en tentant le plus possible de singer l'expert Y ou X) ne sera jamais totalement le vôtre. Et vos partenaires pourront saisir facilement votre nature et vos piètres intentions derrière la facade creuse que vous présentez.
Comme le précise également Bernard Palmier Sensei dans son article sur le Ri-Aï, "Il ne s’agit pas de spéculer sur ce que peut apporter l’Aïkido en dehors de la pratique, mais il s’agit de voir concrètement vers quoi l’on tend « ici et maintenant ». En fait c’est donner du sens à ce que l’on « vit », ce que l’on « donne à vivre » sur un tatami".
Notre fondateur souriant (source : Sakura Dojo, merci pour cette jolie photo)
S'interroger sur ce qu'on fait et pourquoi on le fait, c'est effectivement se remplir et s'imprégner positivement de la voie et non plus la copier tristement.
Je vais conclure sur un triste constat qui, je l'espère, fera prendre conscience aux kohaïs qui me lisent que l'avenir est entre leurs mains.
En vérité, le regard que porte les néophytes sur l'Aikido est le suivant (je le cite pour l'avoir beaucoup entendu) : "L'Aikido est le royaume de l'hypocrisie". Ce n'est pas complètement mon avis bien sur (et c'est aussi le cas d'autres arts martiaux très populaires) mais je constate à titre personnel que les gens "de l'extérieur" qui nous découvrent et nous observent se disent (je recite ce que j'entends) : "C'est bien beau tous ces principes de paix et d'harmonie mais....même le foot parvient à une seule Fédé et les Aikidokas ne sont jamais d'accord entre eux." ou encore "Il y a 2000 écoles différentes et tout le monde prétend détenir La vérité et crache allégrement sur l'enseignement du voisin". Avouez le, au moins un proche un jour a fait cette analyse brute de décoffrage auprès de vous.
Philippe Gouttard sensei précisait très finement que "La vie n’est que : irimi tenkan : aller rencontrer les inconnus et essayer de vivre ensemble". Je me pose donc la question suivante : Comment allons nous arriver à vivre sincèrement avec les autres en général si nous n'arrivons pas à vivre avec nos "voisins de tatamis ? Nos cousins de l'école "Bidule" qui observent d'un oeil torve notre travail en se disant qu'on est rien qu'une bande d'amateurs et qu'on a RIEN compris à l'Aikido.
Qui n'a pas fait cela un jour en se disant fièrement (je paraphrase et je caricature): "Mon sensei, c'est le plus mieux de tous les temps et il a trop raison sur tout".
Là encore, je pense que la solution est dans l'imprégnation profonde et l'enseignement des valeurs autant que dans l'enseignement de forme. Bien sur, tous les êtres humains ne seront jamais parfaits grâce à l'Aikido mais notre système d'éducation à la mérite d'offrir les clefs pour cela, d'ouvrir des questionements profonds et d'ouvrir l'esprit tout court sur soi même et sur les autres.
Se poser ces questions ouvrent de nouveaux sentiers du Do et il n'y a pas forcément de mauvais chemin si tant est qu'on veuille bien suivre avec sincérité.
Bon je vous laisse, il y a un bouquin de Kant qui m'attend hein Patrice ?